Le Château mangé par le temps

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L'artiste serra sa cape contre son corps frêle.

Mais le froid ne comptait pas abandonner aussi facilement sa proie. Il reprit ses assauts avec plus d'ardeur, se jetant en bourrasques gelées sur le vieil homme tremblant d'épuisement et son cheval, que la longue route avait rendu lent et maladroit.

-Nous ne devrions plus être très loin... Murmura le père de Gracieux, autant pour rassurer sa monture que pour se donner une voix humaine à entendre, au milieu de cette nature ingrate.

Comme pour lui donner raison, une forme noire surgit soudain devant lui, tache de ténèbre au milieu du brouillard et de la neige grisâtre.

Une maison en ruine.

-Nous sommes sûrement aux abords de l'ancien village, conclut le vieil homme en regardant tout autour de lui.

Il avait le choix. Soit continuer droit devant, en terrain découvert, bravant le vent et le brouillard, soit prendre le petit chemin qui partait sur la droite et serpentait entre les arbres.

-Perdu pour perdu, autant marcher à l'abri...

Il lui apparut bien vite que personne n'avait emprunté ce sentier depuis des années et des années. Par un miracle extraordinaire, nul arbre n'était tombé en travers du chemin, mais les herbes, sur les côtés, atteignaient des hauteurs pharamineuses, comme si aucun animal ne les avaient jamais foulés.

-Si même les bestioles évitent ce coin de forêt, murmura le vieil homme, couvrant de sa voix enrouée le grincement des arbres, je devrais peut-être faire demis-tour...

Et, au moment où il prononça ses paroles, une grille surgit devant lui, comme née spontanément du brouillard. Une grille de fer ouvragée, que la rouille avait grignoté, et qui pendait lamentablement sur ses gonds.

-Un vieux manoir abandonné, peut-être ? Ça sera toujours mieux que de passer la nuit dehors...

Il mit pieds à terre et saisit les rennes de sa monture pour entrer dans le domaine.

Tout s'était tu, comme si la forêt retenait son souffle.

La bâtisse qui se dessina devant l'artiste n'était pas une simple demeure abandonnée. C'était un château, un gigantesque château qui crevait le ciel de ses flèches de pierre. Les murs du bâtiment ondulaient au vent, comme l'onde d'une fontaine. Les parois étaient recouvertes de lierre, un lierre qui avait bouché les fenêtres et arrondis les angles, ne laissant surgir, ici et là, que la tête grimaçante d'une gargouille, qui crachait sa douleur sur le monde.

Le vieil homme s'approcha avec crainte de l'imposante porte d'entrée, rentrant un peu plus les épaules à chaque fois que la neige craquait sous ses pas.

Il pouvait encore faire demi-tour. Mais plus forte que la peur, la curiosité lui lui fit tendre la main vers le heurtoir de bronze, si lourd qu'il eut de la peine à le soulever.

Le coup qu'il frappa résonna encore et encore dans le bâtiment vide.

Et puis, au moment où l'artiste allait se décider à partir, il y eut un grincement. La porte tourna sur ses gonds.

L'intérieur du château n'était qu'un puits de ténèbre.

-Qui êtes-vous ? Gronda soudain une énorme voix grave qui arracha au vieil homme un sursaut de terreur. Que venez-vous faire ici ?

-Je me suis perdu, répondit l'autre d'une toute petite voix.

Il y eut un silence.

-Pourriez-vous... Pourriez-vous m'offrir le gîte et le couvert, juste pour cette nuit ?

La Bête (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant