De la beauté des roses

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La Bête ne bougeait pas.

Assis sur une pile de livres, les yeux fixés sur un grand lit plein de fourrures, il observait avec une infinie tendresse le centre de son univers dormir.

Dieu, qu'il semblait fragile ainsi ! Un petit corps de chair et de sang. Ça lui sembla soudain ridicule. Comment un réceptacle aussi limité pouvait accueillir une personnalité aussi extraordinaire, aussi douce, aussi éclatante que celle de Gracieux ? Comment pouvait-il donner autant d'affection à un être aussi petit ?

Il voulut caresser d'une griffe les boucles brunes qui retombaient sur le visage endormit, mais s'arrêta au dernier moment.

Il n'avait pas le droit de l'approcher. Pas le droit de le toucher. Pas après ce qu'il avait fait.

Il hésita un instant à sortir de la pièce. S'enfuir lâchement. Laisser un petit mot expliquant à Gracieux qu'il pouvait repartir. Qu'il était libre.

De toute façon, il avait douloureusement conscience qu'il devait le laisser partir.

D'abord parce qu'il risquait de le blesser.

Ensuite parce qu'on enfermait pas dans une cage un oiseau fou de liberté. Et Gracieux méritait la liberté. Il méritait le monde. Il méritait de voir ses rêves devenir réalité. Pas de rester enfermé dans un château à l'abandon avec un monstre dangereux.

Il était sur le pas de la porte lorsqu'une voix le fit se retourner.

-La Bête, je te préviens. Si tu disparais encore une fois comme ça, je te tue.

La Bête se retourna en souriant doucement.

-Et comment ferais-tu ça, petit homme ?

-Je me débrouillerais. Je suis plein de ressource.

Il voulut se lever pour le rejoindre, mais sa tête lui tourna. La Bête se précipita pour le rattraper au moment où il allait tomber du lit.

Gracieux referma ses bras autour du corps familier, et blottit sa tête contre sa poitrine.

-Que s'est-il passé ?

La Bête posa une main dans les cheveux du jeune homme. Dieu, comme il aurait aimé les effleurer de ses mains d'humain, pour sentir la caresse des boucles brunes sur sa peau...

-Parfois, commença-t-il d'une voix rauque, lorsque trop de roses se fanent d'un coup, je perds momentanément mon humanité. J'oublie tout à fait que j'ai été homme, et je deviens bête... Au tout début, ça ne durait qu'une minute ou deux. Mais au fur et à mesure que les années ont passé, ces moments d'absence se sont allongés...

Il serra doucement Gracieux dans ses bras.

-Un jour, toutes les roses seront fanés. Et alors, je me transformerai définitivement en bête. Un animal sauvage et dangereux. Gracieux... Il faut que tu t'en ailles.

-Pardon ?

-J'aurais pu te blesser. J'aurais pu te tuer. Si j'avais... Si j'avais ... Jamais je ne supporterais...

-Tu n'as rien fait, espèce de grosse bête. Tu es redevenu toi-même avant de me blesser. Je suis tombé tout seul, comme un idiot. Dans un château à moitié en ruine, ça devait bien arriver un jour ou l'autre...

-Gracieux, rétorqua la Bête en le serrant plus fort contre lui, il faut que tu partes.

-Même toi, tu ne crois pas ce que tu dis, souffla le jeune homme. Je suis bien, ici. J'ai trouvé une place. Je resterai avec toi jusqu'à ce que tu te transformes en Bête.

La Bête (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant