Le prix de l'amour

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Gaston tira au moment où les mains tendues du jeune homme le heurtait de plein fouet.

Un air de terreur passa sur le visage du chasseur. Il y eut un instant suspendu. Il échangea un regard avec Gracieux. Les yeux du jeune homme brûlaient d'une sentence de mort.

Puis son poids l'attira vers l'arrière.

Et il tomba.

Son long hurlement cessa d'un coup, alors qu'il heurtait la terre.

Gracieux ne bougea pas.

La Bête non plus.

Ils regardaient tous les deux sans la comprendre la rose rouge qui fleurissait sur la poitrine du jeune homme.

-Je t'aime, murmura finalement Gracieux. J'arrive enfin à te le dire.

Et il s'écroula sur le sol.

Le prince maudit se pencha pour le prendre dans ses bras.

Il posa une patte sur la joue de Gracieux pour soutenir son visage et plonger ses yeux dans les siens.

Le cœur de la Bête le faisait atrocement souffrir. Il avait l'impression que c'était lui qui s'était pris cette balle ; il la sentait dans sa chair, plantée dans son cœur, déchiquetant un peu plus ses sentiments à chaque respiration.

-J'ai froid, dit simplement Gracieux.

La Bête pencha son visage vers le sien.

Il ne pouvait même pas l'embrasser, ses crocs l'en empêchaient. Une gueule de monstre ne pouvait se poser sur visage d'ange.

-Ne meurs pas... supplia-t-il.

-Je fais ce que je peux... murmura Gracieux en tentant de sourire.

Une goutte de sang perla au coin de ses lèvres, hésita un instant, puis se déroula sur son menton pour s'échouer dans son cou.

-Tu ne vas pas me laisser tout seul, hein ? Hoqueta la Bête.

Les larmes qui coulaient le long de ses joues mourraient dans son pelage noir.

-Je ne veux pas vivre sans toi, moi, dit-il enfin, libérant les vannes de sa peine.

-Oh, la Bête...

La voix de Gracieux s'était fait lente.

-Souviens-toi... Que l'on peut t'aimer... Pour ce que tu es...

Le chagrin étouffait la Bête, dévorant ses paroles avant qu'elles n'atteignent ses lèvres.

Il fallait qu'il lui dise ! Qu'il lui dise... Qu'il dise...

-Gracieux ?

Le jeune homme posa sur lui ses yeux bleus, immobiles.

-Je t'aime, dit la Bête.

Juste avant de se rendre compte qu'il était mort.

Celui qu'il tenait dans ses bras n'était plus qu'un corps.

Un corps vide. De la chair et du sang.

Beaucoup trop de sang.

La Bête ne pouvait plus bouger. Il venait de mourir aussi. Il en avait la certitude, l'absolue certitude. Il l'avait sentit. Son cœur. Son cœur avait transpercé sa poitrine, et puis c'était enfui. Loin. Dans un autre univers. Le véritable univers.

Parce que celui-ci n'était qu'un cauchemar. L'univers ne pouvait pas avoir permis ça.

Le corps froid de Gracieux.

Son regard sans étincelle.

Ses mains sans mouvements.

Sans vie.

Mort.



La Bête ne resta immobile.

Longtemps.

Très longtemps.

Sans s'apercevoir qu'il n'était plus une Bête.

Ses yeux se posèrent sans faire exprès sur ses mains, qui enserrait le corps de son amour perdu.

Ses mains.

Des mains humaines.

Le sortilège était brisé.

Il s'en fichait complètement. Il était trop tard. Trop tard pour vivre, trop tard pour exister, trop tard pour aimer.



Soudain, une immense lumière envahit la pièce, accompagnée d'une chaleur douce.

La Fée se dessina lentement dans l'air, en face de lui.

-Félicitation, dit-elle. Tu as brisé l'enchantement. Tu as réussi à trouver l'amour.

Le prince aux yeux brûlants la regarda comme si elle était folle.

-Gracieux est mort, dit-il d'une voix si rauque qu'elle lui déchira la gorge. Il est mort, répéta-t-il, pour bien lui faire comprendre que rien n'avait d'importance. L'histoire ne devait pas se terminer comme ça. Pas comme ça. Pas lui.

-Je sais. C'est pourquoi je suis là.

L'espoir explosa dans le cœur de la Bête.

-Vous pouvez le soignez ? Vous pouvez ?

-Je peux. Mais je n'accorde qu'une faveur à la fois. Si je guéris ton ami, tu te retransformeras en Bête...

-Faites-le, pour l'amour du ciel !

-Laisse-moi finir. Tu oublieras tout de ta vie humaine...

-Mais guérissez-le !

-Et Gracieux t'oubliera aussi. Il retournera à Paris, où il vivra ses rêves, loin du château et de l'animal que tu sera devenu.

-Par tous les dieux du ciel, soignez-le, quel qu'en soit le prix !

-Quel qu'en soit le prix ?

-OUI !

La Fée se pencha et posa le bout de sa baguette sur le cœur de Gracieux.

-Quelques instants après la mort, dit-elle, l'âme s'attarde près du corps. Surtout s'il lui reste une raison de vivre. Elle s'accroche. Plus la force mentale de l'âme est forte, plus il est simple de le ramener.

-Vous n'aurez pas trop de problème, alors... murmura le prince.

Une lumière naquit au bout de la baguette. Une toute petite lueur qui se mit à grandir... grandir... grandir... Jusqu'à noyer toute la pièce d'un éclat aveuglant, presque douloureux.

La Bête sentit quelque chose s'introduire dans son esprit. Quelque chose de doux, mais inflexible. Sa conscience flancha.

Il sombra dans les ténèbres.

La Bête (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant