La part des ténèbres

11.2K 1.5K 74
                                    

-La Bête ? Appela Gracieux. La Bête ?

Le vent sifflait dans les couloirs, entonnant des chants sinistres qui faisait frissonner le jeune homme.

-LA BÊÊÊÊÊTE ! Appela une nouvelle fois Gracieux, les mains en coupe autour de sa bouche.

L'inquiétude s'infiltrait dans son esprit, comme l'eau franchit une digue avant de la renverser.

Il n'avait pas vu son ami de toute la journée d'hier, et était à sa recherche depuis ce matin.

-LA BÊÊÊÊÊTE

Une nouvelle fois, il regrettait de ne pas avoir d'autre prénoms à lui donner. Mais à chaque fois qu'il avait proposé un autre surnom que celui-ci, il s'était vu farouchement rejeté.

-LA BÊÊÊÊÊTE ! Essaya-t-il encore, sans espoir.

L'écho, cruel, lui renvoya à la figure ses propres paroles.

Gracieux leva les yeux. Les voûtes du plafond se trouvaient à des dizaines de mètres de hauteur. Les murs étaient loin, loin... La salle était si grande... Et lui si minuscule...

Sa solitude et son insignifiance le frappèrent de plein fouet, lui coupant le souffle.

Il monta l'escalier en courant et grimpa encore, et encore, jusqu'à atteindre le toit, là où il avait l'habitude de lire où de parler avec son ami. S'il revenait, d'ici, il pourrait le voir.

Il se laissa glisser jusqu'au sol et ramena ses genoux contre lui pour refermer ses bras autour.

Il était seul. Seul. Tous le monde était partit. Il aurait bien pu ne pas exister.

-La Bête... gémit-il. Où es-tu ? Je t'en pris...

Il resserra l'étreinte de ses bras, et tenta d'oublier le froid qui chercher à pénétrer ses défenses.

Et s'il lui était arrivé quelque chose ? S'il était partit dans la forêt, et qu'un chasseur l'avait blessé ? S'il était en train de mourir, quelque part ? S'il était perdu ?

Et s'il s'était enfui ? S'il avait eu peur des paroles qu'il lui avait dites ? Et si c'était un moyen de lui dire de partir, une façon de le rejeter ?

Gracieux enferma ses craintes dans un coin de son cœur et s'efforça de penser à autre chose. Comme à chaque fois, ses pensées dérivèrent vers des mondes imaginaires et des héros de papiers. Mais les histoires qu'il créait dans sa tête se teintèrent toutes de peine et d'amertume.

Finalement, il finit par sombrer dans un sommeil agité, peuplé d'hommes et de femmes sans visages qui agitaient des images de lui en répétant sans cesse qu'il ne serait jamais rien d'autre qu'une belle peinture.

Un grognement le sortit de sa torpeur.

Il papillonna des paupières, étonné de se retrouver en pleine nuit, et fouilla les ombres du regard pour identifier ce qui l'avait réveillé.

Une ombre se tenait à quelques mètres de lui. Une ombre familière qui lui sembla pourtant étrange, comme déformée.

-La Bête ? Demanda-t-il avec un sursaut d'espoir.

L'animal se coula dans la lumière blafarde de l'astre lunaire.

C'était la Bête. Mais ce n'était pas lui.

La créature qui se tenait devant le jeune homme avait bien les traits de la Bête, mais son expression était tordue d'une grimace animale, pleine de violence et de convoitise. Aucune trace de douceur. Aucune maladresse. Aucune tendresse. Aucune humanité.

Cette bête-ci se déplaçait à quatre pattes. Ses crocs luisaient de salives.

Le monstrueux animal fit un pas en avant. Ses griffes raclèrent les tuiles du toit.

Gracieux résista à l'envie de reculer ou de fuir.

Il tendit une main, concentrant toute sa volonté pour éviter de trembler.

-La Bête... La Bête, c'est moi... Gracieux...

Un grondement sourd lui répondit. Le monstre s'approcha de lui en ouvrant la gueule.

Gracieux ramena sa main contre sa poitrine, mais ne bougea pas.

-La Bête, appela-t-il. Je t'en prie réponds-moi ! Dis quelque chose ! N'importe quoi !

Il n'était plus qu'à quelques dizaines de centimètres de lui, maintenant. Il pouvait sentir son souffle sur son visage.

-LA BÊTE ! Hurla Gracieux en posant ses deux mains sous les yeux du monstre qui lui faisait face. Je suis...

La Bête lâcha un énorme rugissement de fauve, qui renversa le jeune homme sur le dos.

Le monstre posa une de ses pattes sur sa poitrine.

-Que t'arrive-t-il ? Souffla Gracieux.

Quelque chose roula le long de sa joue. Il se rendit compte qu'il s'agissait d'une larme. Une autre la suivit aussitôt, puis une autre, et une autre, se mêlant en torrents de sanglots désordonnés.

La Bête leva une patte. La lune envoya un reflet menaçant sur les griffes de l'animal.

Gracieux lâcha un nouveau sanglot.

Et l'énorme patte de la Bête se posa sur sa joue avec une douceur infinie.

-Gracieux ? Murmura l'ancien prince, comme s'il se réveillait d'un mauvais rêve. Bonté divine ! Tu pleures ! Tu... Tu...

Il regarda tout autour de lui, un air profondément confus sur le visage.

-Qu'est-ce que... Tu es blessé ? Gracieux, tu es blessé quelque part ?

Le jeune homme sourit au travers de ses larmes. Il se redressa, et voulu se jeter au cou de la Bête...

Mais dans sa précipitation, son genou dérapa.

Il sentit son corps basculer sur le côté.

Il eut le temps d'échanger avec la Bête le même regard terrifié.

Et tomba dans le vide.

-GRACIEUUUUUUUUX!

La Bête (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant