Nul oiseau ne réveilla Gracieux. Il ouvrit les yeux dans un silence presque absolu, que seul le bruissement du vent dans le lierre venait troubler.
Il régnait dans la salle une douce pénombre, qu'entretenaient les quelques rayons du soleil qui parvenaient à se frayer un passage entre la végétation.
Le jeune homme se releva et épousseta négligemment ses vêtements avant de s'étirer. Il avait beau ne pas être particulièrement douillet, dormir à même le sol était assez désagréable au réveil.
Son ventre, soudain, se rappela à son bon souvenir. Une seconde plus tard, ses yeux se posaient sur la petite table, devant le foyer. Deux morceaux de pains y trônaient, accompagnés de beurre et de deux tasses de chocolat chaud. Gracieux prit un des deux pains, le tartina, et l'engloutit de bon appétit, suivis du breuvage cacaoté. Improbable, dans un tel endroit, mais bien réconfortant. Et puis, on en était plus à une bizarrerie près....
Que faire à présent ?
Le monstre qui l'avait accueillit la veille n'était visible nulle part. Ce qui ne voulait pas dire qu'il n'était pas là, caché, à l'espionner, jouer avec lui au chat et à la souris...
Le jeune homme inspira profondément pour chasser ces appréhensions. Avoir peur ne l'aiderait à rien.
Il prit donc son bagage de livres, tenu contre son cœur comme un bouclier, et résolu de visiter un peu ce curieux château. En se promettant de ne toucher aucune rose ou fleur de quelque sorte que ce soit, puisque apparemment, la grosse bestiole pleine de poils était susceptible. Et un dicton d'une sagesse millénaire disait : « Si tu es à la merci d'un monstre, ne vas pas l'énerver ». Ou quelque chose comme ça.
En souriant des bêtises qu'il se racontait à lui-même pour s'encourager, Gracieux gravit les marches qui menaient à l'étage.
Il trouva des salons aux meubles éventrés, des boudoirs aux vitres béantes, et pleins d'autre salles où s'accumulaient la poussière. Il ouvrit aussi les portes d'une vingtaine de chambres identiques, où seules différaient les ravages du temps. Ici, le lit était complètement moisi. Ici le mur craquelé. Là, la peinture gondolée. La dernière de ces chambres, la plus isolée, était relativement bien conservé. Il dissimula ses livres sous le lit avec l'idée que s'il le pouvait, il reviendrait dormir ici cette nuit.
Puis il reprit son exploration.
Dans sa tête tournaient des dizaines et des dizaines de questions. Quel était cet endroit ? Pourquoi personne n'en avait jamais entendu parler ? Pourquoi était-il désert ? On avait l'impression que les habitants étaient partis brusquement, en laissant tout en plan. Mais pourquoi ? Pour où ? Depuis combien de temps ?
Et surtout, plus important : qui était la Bête et que lui voulait-elle ?
Pris d'une soudaine envie d'inspecter les environs, Gracieux escalada tous les escaliers qui montaient, jusqu'à se retrouver en haut de la plus haute tour du château. La cloche qui était censé pendre était affaissée sur le côté, comme un mastodonte ayant rendu l'âme. Le lierre n'était pas monté jusqu'ici, abandonnant le lieu aux caprices du vent froid.
Il tourna sur lui-même pour plonger son regard dans les larges fenêtres sans vitres qui s'ouvraient de tous les côtés, dévoilant un paysage de neige immaculée...
Et soudain, il lâcha un cri.
Le monstre était là, assis au rebord même de la fenêtre.
Il le regardait.
Gracieux hésita.
Fuir ?
Mais pour où ? Il n'avait pas le moindre doute que la Bête puisse le rattraper aussi rapidement qu'elle le désirait. Alors à quoi bon ?
Il s'assit sur le rebord de la fenêtre la plus éloigné de la Bête en essayant de maîtriser le tremblement de ses mains.
-Qu'allez-vous faire de moi ? Demanda-t-il doucement.
-Encore cette question ? s'irrita la Bête.
-Désolé de vous importuner avec mes futiles préoccupations de survie, rétorqua acerbement le jeune homme.
La Bête soupira.
-Je n'ai pas encore statué de ton sort. Pour l'instant, tu es mon prisonnier.
-Vous êtes cruel, rétorqua Gracieux, qui utilisait son irritation pour cacher sa peur.
-Vraiment ?
-Vous menacez mon père de mort pour une rose. Et vous osez lui demander de sacrifier l'un de ses enfants
-Et pourtant, tu es là, non ?
-Oui. Mais je sais que mon père portera pour le reste de sa vie la culpabilité de cet accord. Tout ça pour une fichue rose !
-TU NE SAIS RIEN ! Rugit soudain la Bête en enfonçant profondément ses griffes dans une colonne de pierre qui se fissura de tout son long. Tu ne sais rien du tout... Cette rose est la plus importante de mes possessions ! Toutes les roses du palais... Chacune d'entre elles... Ne t'avise pas de les toucher. Ou je te tuerais dans l'heure.
Une rafale de vent traversa la tour, étirant un sifflement lugubre.
Un instant passa en silence. Gracieux s'était retourné. Adossé à une colonne, il admirait le paysage en retenant ses larmes et en cherchant à oublier, dans son dos, la présence de la Bête.
-Que s'est-il passé ici ? Demanda-t-il finalement, sans bouger.
-Pourquoi se serait-il passé quelque chose, rétorqua la voix rocailleuse et légèrement agressive de la Bête. Ce n'est qu'une vieille ruine.
Gracieux sursauta, mais ne se retourna pas. Il ne se sentait pas la force de lui faire face.
-Les pierres de ce château respirent la mélancolie et la nostalgie, dit-il doucement. Tout a été laissé à l'abandon, comme un souvenir qui s'efface. Et puis, il y a tout de même une Bête parlante qui y habite...
Seul le silence lui répondit.
-Il devait bien y avoir des humains, avant, il y a très longtemps... Continua Gracieux, que le silence, en présence de son geôlier, rendait nerveux.
Il y eut un nouveau flottement.
-Non, répondit la Bête d'une voix aux accents tristes. Ce château a toujours été habité par des monstres.
-Des monstres ? Demanda Gracieux, désormais incapable de faire taire sa curiosité. Vous n'êtes pas seul ?
-Les autres ont payé le prix de leur outrecuidance, rétorqua la Bête.
Il y eut un bruit de frottement, dans le dos de Gracieux.
Lorsqu'il osa enfin se retourner, il était seul.
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La Bête (MxM)
FanfictionIl était une fois dans un pays lointain un prince au cœur de pierre obsédé par la beauté. Dans sa quête de perfection, il finit par s'attirer le courroux d'une fée, qui le condamna à vivre seul, sous l'apparence d'une bête, en perdant chaque jour un...