-Je me doutais que je te trouverais ici, dit gentiment Gracieux en rejoignant la Bête au fond de la chapelle.
L'homme au visage de monstre sursauta et se tourna vers lui. Il tenait dans ses mains une rose flétris.
-Oh, soupira Gracieux. Quel souvenir étais-ce ?
-Le dernier souvenir qu'il me restait d'un bal, répondit tristement l'autre. J'adorais les bals. Toutes ces explosions de lumières, de robes, de bijoux, ces danses et ces musiques endiablés... Les bals me semblaient appartenir à d'autres mondes.
-Personnellement, grinça Gracieux, je m'y suis toujours ennuyé à mourir. Et puis, il y a tellement de gens...
-C'est sûr qu'ici, plaisanta l'autre, tu ne risques pas de bousculer quelqu'un au détour d'un couloir.
Un sourire illumina le visage de Gracieux.
-Dis-moi, la Bête, tu me ferais une faveur ?
-Tout ce que tu veux.
-Est-ce que tu peux rester dans cette cour jusqu'à ce soir ?
-Pourquoi ?
-Parce que je te le demande.
-Ça me semble une excellente raison, en effet...
Le jeune homme sourit et caressa de sa main la joue de la Bête, qui s'y lova en ronronnant comme un chat. Un gros chat.
-Tu me le promets ?
-Bien sûr.
Et le jeune homme repartit tout heureux réaliser son projet machiavélique...
~
La nuit était tombée depuis longtemps déjà lorsque la Bête vit réapparaître Gracieux dans la petite cour. Son cœur fit une formidable envolée. Le jeune homme avait revêtu des habits qu'il avait trouvés au fond d'une armoire et soigneusement reprisé. Certes, il restait très peu du costume d'origine, et les retouches étaient grossières, mais aux yeux de la Bête, c'était assurément le plus bel habit qu'il n'ait jamais vu.
-Je n'ai trouvé qu'une cape qui ait ta taille, déclara le jeune homme d'une voix d'excuse en lui tendant une longue cape rouge.
L'autre s'en saisit et l'enroula autour de ses épaules.
-C'est parfait.
Gracieux tendit sa main.
Avec une émotion qu'il n'aurait jamais cru ressentir, la Bête glissa son énorme patte entre les doigts fins et délicats du jeune homme, qui se refermèrent autour de lui pour le tirer en avant.
-Où va-t-on ?
-Tu verras, répondit Gracieux. Ferme les yeux. Laisse-toi guider.
-Mais...
-Tu me fais confiance ?
-Oui, murmura l'énorme bête. Je te fais confiance.
Et il se laissa faire.
Soudain, Gracieux s'arrêta et lui prit les deux mains.
-Maintenant, souffla-t-il. Ouvre les yeux.
Et la Bête ouvrit les yeux.
Un petit sursaut de surprise lui échappa. Ils étaient dans la salle commune, là où ils s'étaient vu pour la première fois.
Mais Gracieux avait arraché le lierre qui bouchaient les larges fenêtres, laissant apparaître le manteau scintillant de la nuit. Les vieux tapis gorgés de poussières avaient disparus, révélant le marbre blanc, qui reflétaient doucement les dizaines de bougies allumés éclairant l'espace.
-Je me disais, expliqua Gracieux en rougissant – il se sentait soudain parfaitement ridicule –, que comme tu as perdus tous les souvenirs de tes bals, je pourrais...
-M'en créer de nouveau ? Finis la Bête d'une voix rauque.
-Je sais que ce n'est pas vraiment un bal, qu'il n'y a ni musique, ni belle compagnie, mais...
-Oh, Gracieux, soupira la Bête en enfermant le visage du jeune homme dans ses mains. Tu es la seule compagnie dont j'ai besoin. Quant à la musique... Ça te paraîtra peut-être étrange, mais lorsque je suis avec toi... J'entends toujours de la musique. À cet endroit-là, précisa-t-il en posant la main de Gracieux sur son cœur.
Ils restèrent ainsi un long instant, chacun se débattant comme il le pouvait dans le chaos de ses sentiments.
La Bête était toujours perturbée par ce que lui avait révélé son prisonnier, sur le toit. Que les hommes pouvaient tomber amoureux d'autres hommes... Et lui, comme il se sentait étrange, près de Gracieux... Et il se disait... Bien sûr, il n'y connaissait rien... Mais si quelque chose devait ressembler à l'amour...
Gracieux sentait, entre ses doigts, les poils de la Bête. L'abominable Bête qui avait menacé son père de mort et le retenait prisonnier ici. Pourtant... Pourtant il n'avait pas peur de lui. Il l'avait découvert doux et sensible, sous ses blessures d'antan. Il s'en était fait un complice, un être cher, un ami... Et peut-être...
Il glissa sa main jusqu'à ce qui devait approximativement être la taille de la Bête – qui faisait tout de même une tête et demis de plus que lui – et posa l'autre main sur son épaule.
-Nous sommes au bal, mon prince, lança le jeune homme. Dansons !
-Je ne t'ai jamais dit que j'étais prince, répondit doucement la Bête en entamant une valse lente.
-Je l'ai deviné tout seul. Il n'y a qu'un prince charmant pour rester deux siècles enfermé dans un château maudit...
-Et si je n'étais pas charmant ?
-Tu es ce que tu es, répondit Gracieux.
Son sourire illumina ses lèvres.
-Je crois que je m'en contenterai.
Le cœur de la Bête explosa. Étais-ce possible ? Oh, oui, ce qu'il ressentait pour ce petit bout d'homme était définitivement de l'amour. Mais lui, de son côté... Lui si beau et si gracile... Comment pourrait-il aimer une Bête ? Son apparence lui revint soudain en mémoire, avec toute sa disgrâce. Il se compara à celui qu'il avait été. Non... Personne ne pouvait aimer un être aussi abominable.
Personne.
Il ferma les yeux pour contenir sa douleur et continua de danser, en chérissant du plus profond de son être la chaleur qui se dégageait du corps de Gracieux, tout contre lui.
~
Gaston frappa trois coups à la porte de la vieille masure.
La porte s'ouvrit craintivement, pour laisser paraître le visage du vieil artiste.
-Gaston ! s'exclama-t-il avec un soupir de soulagement. Il faut que vous m'aidiez ! Je vous en prie... Gracieux à besoin d'aide...
Gaston sourit, et vérifia machinalement que son fusil de chasse était bien accroché à son épaule.
La partie s'annonçait encore plus divertissante que prévu.
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La Bête (MxM)
FanfictionIl était une fois dans un pays lointain un prince au cœur de pierre obsédé par la beauté. Dans sa quête de perfection, il finit par s'attirer le courroux d'une fée, qui le condamna à vivre seul, sous l'apparence d'une bête, en perdant chaque jour un...