Ils ne sortirent qu'une fois rhabillés et parfaitement secs. Il y avait beaucoup d'animation dans le salon de la maison, juste assez pour attiser leur curiosité. Ils échangèrent un regard interloqué avant de se rendre à l'origine de tout ce raffut.
Purr se débattait en hurlant, soulevé sans effort par Bernabé, tandis qu'Inari installait une chaise et préparait des cordes. Ils durent se mettre à deux pour ligoter le loup-garou gesticulant contre le dossier du fauteuil, le centaure tentant de bâillonner Purr tandis que le démon renard serrait les nœuds qui l'entravaient.
– Je vous l'interdit ! hurla le loup-garou d'une voix de matrone effarouchée. Ne me touchez pas !
– On te laisse, Aello, ricana Inari avec un sourire de fouine.
Aello, jeune mâle harpie, replia les ailes pour se poser derrière la chaise et sortit ses longues manches un nécessaire de coiffure. Purr lui lança un regard terrorisé alors que l'homme oiseau extirpait une jolie paire de ciseaux argentés.
– N'y pense même pas ! Pffft ! Pffft !
Ses pathétiques tentatives de feuler, alors qu'il était un loup et non un chat-garou, exaspérèrent Laè au plus haut point. Le Selkie leva les yeux au ciel avant de faire demi-tour. Flocon, lui, s'approcha avec curiosité de la scène, sortant ses ailes éthérées pour prendre un peu de hauteur. Il alla se poser sur le perchoir d'Aello, une longue barre de bois ouvragée qui dominait le salon. Il flottait toujours dans la pièce une bonne odeur de fleur, capiteuse et sensuelle, mais jamais trop lourde. Le thé et les gâteaux étaient ravitaillés tout au long de la journée, et on y trouvait toujours de quoi s'amuser, de sorte que la fée s'y plaisait beaucoup. Mais il aimait encore plus regarder ce que faisaient les autres pensionnaires.
Purr tentait maintenant de secouer sa tignasse châtain dans tous les sens pour éviter les implacables ciseaux d'Aello. Bernabé, intraitable, lui saisit le menton de sa poigne de fer, arrachant au jeune loup un couinement de souris prise au piège.
Flocon éclata de rire devant la scène. Il battit des pieds du haut de son perchoir, absolument ravi. Il n'avait pas d'autres rendez-vous prévus pour la journée mais si personne ne se présentait à l'improviste pour l'occuper une heure ou deux, il savait déjà qu'il n'allait pas s'ennuyer.
Lotis, ses longs cheveux entremêlés d'algue, avait cessé de tourbillonner dans son énorme bocal pour se hisser à la surface, croisant les bras sur le rebord de verre. Il fixa la scène de l'œil blasé de l'habitué, secoua la tête, et replongea dans son vaste aquarium pour faire quelques pirouettes au milieu du corail. Lui, il devait avoir l'habitude de ce genre de scènes. Chaque fois que la tignasse de Purr devenait beaucoup trop longue pour son propre bien.
– Arrête de bouger, grogna Aello en ratiboisant d'un œil expert les mèches ébouriffées. Franchement, t'as vu ta tête ? Ça peut plus durer ! Bientôt, y aura plus que les sorcières qui voudront de toi !
– Elles sont très gentilles ! protesta l'intéressé avec véhémence. Elles viennent boire le thé avec moi !
Un autre cri couvrit à moitié celui du pauvre loup-garou. Une voix forte et volcanique, à laquelle répondit une seconde, même si la porte du salon les étouffait en partie.
– ... te moque de moi ... ?
– ... sois pas stupide !
Le cliquetis des ciseaux s'interrompit avec la main d'Aello et Bernabé en relâcha la tête de Purr, qui la secoua aussitôt pour tendre l'oreille. L'accrochage semblait violent et les deux hommes ne cessaient de hausser le ton. Ils devaient être dans le couloir, ou sur le seuil du bureau du patron, mais certainement pas très loin du salon, pour qu'ils les entendent aussi fort.
Purr bondit comme un diable hors de sa boîte, en grondant comme un fou et en montrant les dents. Il prit tout le monde par surprise en tirant sur ses cordes qui rompirent dans un claquement sec. Il fonça hors du salon avant que quiconque ait pu le retenir, manquant de faire exploser les gonds de la porte au passage.
Bousculant les deux hommes qui se disputaient, Purr s'interposa pour faire rempart de son corps entre Laè et Mordigann.
Le patron le fixa avec surpris. Il dépassait d'une bonne tête ses deux pensionnaires, mais les deux jeunes hommes le foudroyaient du regard. L'un avec véhémence, bien décidé à ne pas en rester là, l'autre avec méfiance, prêt à tout pour défendre son camarade. Mordigann se recula d'un pas, comme pour ravaler la répartie cinglante qu'il s'apprêtait à lancer à Laè.
– ... c'est toi qui t'enflamme pour rien, gronda-t-il de mauvaise grâce. Je ne pense qu'à ton bien...
– Comme si tu en avais quelque chose à faire ! répondit aussitôt Laè. Je ne vaux pas plus qu'un tas de viande, pour toi ! Aucun de nous !
Purr, toujours sur la défensive, se retourna en couinant quand il entendit le ton blessé dans la voix de Laè. Ce dernier était bien le seul pensionnaire qui osait tenir tête à Mordigann. Il le respectait, le craignait aussi beaucoup, faisait de son mieux pour éviter de le contrarier ou de provoquer sa colère. Mais quand il avait quelque chose à lui dire, plus rien n'effrayait le Selkie qui partait bille en tête s'expliquer avec son patron.
Les autres observaient la scène sans oser s'en mêler, par la porte grande ouverte du salon. Ils retenaient leur souffle de peur de devenir la cible de la colère de l'un ou de l'autre.
Mordigann soupira. Il décroisa les bras, ses épaules s'affaissèrent, et il planta son regard sombre dans celui de Laè, par-dessus l'épaule de Purr dont il ignora tout simplement la présence. Mêmes les plis sévères de son front semblèrent s'adoucir.
– Pourquoi est-ce que tu restes ici, si tu refuses la moitié de tes clients ? Pourquoi tu continues à faire ce métier ?
Laè, si prompt à s'énerver, sembla soudain au bord des larmes. Comme si Mordigann l'avait giflé, il détourna vivement la tête et parut rétrécir derrière le rempart du dos du lycan.
Mordigann s'engouffra dans la brèche, fronça à nouveau légèrement les sourcils.
– Tu crois toujours que tu retrouveras ta peau en restant ici ? Alors que tu as presque arrêté de travailler ?
Laè ne dit rien, les yeux écarquillés. Il avait l'air submergé par l'océan de sentiments qui bouillonnait à l'intérieur de lui.
La journée avait bien commencé, pourtant. La visite de l'homme des bois, son bain avec Flocon... Il avait presque fini par en oublier sa peine.
Mais les mots de Mordigann l'avaient poignardé si fort qu'il explosa.
– Ma peau ? Je suis sûr que tu sais très bien où elle est ! Tu es la seule personne qui m'empêche de partir !
Laè s'enfuit, luttant contre ses larmes de colère, pour s'enfermer dans sa chambre à l'autre bout du couloir. Abasourdi, Purr cligna plusieurs fois des yeux avant de se précipiter à sa suite.
Un silence lourd s'abattit dans le couloir. Mordigann, impassible, poussa un long soupir las. Puis il sortit une cigarette de sa poche et l'alluma d'un geste calme. Il se tourna sans un mot vers les autres pensionnaires, pas surpris de les trouver là, ni contrarié par leur présence.
– Il va falloir que quelqu'un prenne le client de Laè cet après-midi, dit-il après avoir tiré une longue bouffée de sa cigarette.
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Fancy Candies
Fantasy(MM, fantasy, contenu adulte) Libéré du marché noir, Flocon, fée des neiges à l'allure androgyne, est forcé d'intégrer la maison Fancy Candies, un établissement réputé dans tout le monde magique. Pour rembourser sa dette, il se joint aux autres pens...