Les crépitements de la cheminée faisaient oublier à Laè le souffle du vent contre les carreaux aussi bien le lointain grondement de la mer. Les flammes réchauffaient son dos nu, leur chaleur imprégnant la fourrure déployée devant l'âtre. C'était un délice de s'enfoncer dans les longs poils soyeux du tapis, et son homme des bois ne s'y était pas trompé en l'amenant devant le foyer, plutôt que sur son grand lit recouvert de peaux d'animaux.
La pièce était vaste, mais il y faisait bon. Les murs de pierres blanches tenaient éloignée l'humidité. D'ordinaire, Laè allumait toutes les bougies dans les appliques murales et les grands chandeliers de fer forgé, pour donner à sa chambre une ambiance seigneuriale. Elle était vaste, haute, peu meublée, noble et majestueuse par sa sobriété. Une chambre de roi dans un palais nordique, qui surplombait les falaises et les flots déchaînés.
Mais avec son homme des bois, Laè préférait une atmosphère plus intime. Son client n'aimait pas trop les grands espaces. Il préférait de loin la douceur des fourrures qui tapissaient le sol et le lit. Et peu de lumière, un bon feu craquant dans la cheminée alors que dehors, la tempête faisait rage.
Laè l'aimait bien, son homme des bois. Ce dernier mettait pour lui ses plus beaux vêtements propres, en toile rugueuse et d'allure austère, mais déjà un trésor pour son grand dénuement. Il avait les cheveux et la barbe hirsute, d'où seuls dépassaient ses grands yeux perçants. Il avait peut-être du sang de troll ou de géant, était sans doute beaucoup plus jeune que ce dont il avait l'air. Les autres pensionnaires en avaient peur, pensaient qu'il devait être hideux sous ses broussailles noires, et qu'il devait empester.
Ils se trompaient lourdement. Sa barbe emmêlée n'en était pas moins douce, sentait bon la forêt, le vent, les arbres. Il était doux et gentil, parlait peu, et surtout, ne disait jamais rien avec lui. Il se contentait de percher Laè sur ses cuisses, de lui retirer ses lourdes tuniques, et de laisser ses mains rugueuses se gorger de la douceur de la peau du Selkie.
Laè aimait beaucoup le sentir faire. Entre les grandes paumes abîmées, il avait l'impression de devenir la chose la plus délicate du monde. Il appréciait sa façon de suivre les sinuosités de son corps, la longue fente dans le bas de son dos, les bosses et les creux que dessinaient ses os. Il lui rappelait les amants qu'il avait autrefois, dans les îles du nord.
Laè estimait pourtant qu'il n'avait rien de délicat. Il gardait les cheveux longs et s'habillait toujours de longues et droites robes qui cachaient sa silhouette. Il pouvait s'affiner, se mincir, avoir l'air frêle et fragile dans ses grandes manches et ses lourdes bottes. Mais sous le tissu brodé, il n'avait pas la beauté androgyne d'une jolie fée comme Flocon.
Il avait des muscles, peu de hanches, les épaules trop larges à son propre goût. Mordigann ne l'aurait pas engagé s'il n'y avait pas dans sa physionomie quelque chose de séduisant, mais Laè ne se plaisait pas. Il se trouvait trop rude, trop austère, à côté de l'allure sensuelle et élancée d'Elendil, et maintenant de la beauté éthérée de Flocon. Il cherchait sans le trouver ce qui pouvait bien plaire aux gens qui lui rendaient visite.
Mais son homme des bois le consolait toujours. Parce que c'était lui qu'il choisissait au lieu des autres, lui qu'il touchait avec cette tendresse mêlée de respect.
Laè soupira doucement, resserrant ses bras autour des larges épaules du sauvageon. La tête appuyée contre la chevelure épaisse et emmêlée, il gardait les yeux clos, perdu dans ses pensées. Un doigt rugueux suivit ses abdominaux, remonta jusqu'à suivre la ligne incurvée sous l'un de ses pectoraux. L'autre main, grande et chaude, était posée sur les muscles fermes de sa cuisse, immobile. Un frisson traversa l'échine de Laè.
Il l'aimait beaucoup, son homme des bois. Il lui rappelait son île. La mer. Le nord.
Sa vie d'avant. Et tout ce qu'il avait laissé là-bas en voulant quitter la mer.
oOo
Il s'écoula une bonne heure avant que Laè ne quitte finalement sa chambre désertée.
Perdu dans ses pensées, il sentit soudain quelque chose lui sauter sur le dos et l'agripper fermement. À peine surpris, il passa de bonne grâce les mains dans son dos pour attraper les cuisses de Flocon et le caler convenablement contre lui. La fée lui mordilla l'oreille en guise de salut, émettant un joyeux trille.
– J'allais prendre un bain... soupira Laè avec une pointe de tendresse.
Flocon cligna des paupières puis lui répondit par un lumineux sourire. Il resserra l'étreinte de ses bras autour du cou de Laè, ce que ce dernier interpréta le geste comme une volonté de l'accompagner. Levant les yeux au ciel, le selkie prit malgré tout le chemin de la salle de bain.
Le long couloir était désert, toutes les portes fermées, y compris celle du salon tout au bout de l'allée. Les voix des autres pensionnaires étaient étouffées par les portes closes. Sans un bruit, Laè déposa Flocon sur le sol des vestiaires. Dans la petite pièce étroite, remplie de casiers, ils se dévêtirent l'un et l'autre sans plus de cérémonie.
Avec curiosité, Laè tenta malgré tout des petits coups d'œil en direction de Flocon. Le jeune homle venait visiblement de recevoir un client, mais son corps n'en gardait aucune trace. Laè ne dit rien et plia soigneusement sa longue tunique brodée pour la ranger dans son casier.
Ça l'effrayait un peu de voir à quel point Flocon s'était vite acclimaté à la maison. Il n'était pas sorti de sa bouteille depuis plus de quelques jours qu'il s'entendait déjà avec tout le monde, travaillait comme les autres, se comportait avec l'aisance de quelqu'un qui vivait là depuis des années. C'était à se demander si le trafiquant qui l'avait capturé l'avait vraiment enlevé dans une forêt enneigée, et pas plutôt dans une maison concurrente de la leur.
– Je vais dans les bains froids, précisa Laè. Tu m'accompagnes, ou bien... ?
Flocon lui offrit son plus bel air dépité, la lèvre tremblante et les yeux humides. Laè tiqua et tenta de résister, la main sur la poignée de la porte de bois sombre qui conduisait aux bassins d'eau fraîche et d'eau de mer.
– Je n'aime pas trop l'eau chaude... plaida Laè.
Mais Flocon, battant des cils, agrippa son poignet pour le tirer avec lui vers une porte de bois clair. Un joyaux orange, en forme de soleil, était incrusté dans le bois verni. Laè soupira, s'avouant vaincu.
– D'accord...
Victorieuse, la fée sourit et le tira à l'intérieur de la petite pièce circulaire, où d'autres portes les attendaient encore.
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Fancy Candies
Fantasy(MM, fantasy, contenu adulte) Libéré du marché noir, Flocon, fée des neiges à l'allure androgyne, est forcé d'intégrer la maison Fancy Candies, un établissement réputé dans tout le monde magique. Pour rembourser sa dette, il se joint aux autres pens...