Driss s'était allongé sur une dormeuse de brocart or et pourpre, un bras pendant dans le vide et une jambe passée par-dessus le dossier. Perché au sommet d'une dune de sable, il laissait libre court à son ennui mortel dans la solitude de sa chambre.
Garnie de tapisserie et de tentures précieuses, sa dernière trouvaille avait été de remplir la grande pièce de sable doré. De l'or véritable, réduit en toutes petites poussières aussi douces au toucher que du sable fin, qu'il égrainait pensivement tout en fixant le plafond. Il plongeait la main dans le sable et en ressortait une poignée qu'il laissait ensuite filer entre ses doigts.
Inari, en le trouvant dans cet état de déchéance, eut l'air tenté de le faire basculer du haut de sa dune d'un bon coup de pieds dans le dossier de son siège.
– Qu'est-ce que tu rumines, encore ? Un client qui a annulé ?
Le geignement qui émergea en réponse était parfaitement inintelligible et le kitsune leva les yeux au ciel. Remontant le bas de son élégant kimono blanc, il gravit la petite dune en quelques pas, ses pieds s'enfonçant à peine dans le sable chaud.
-– Tu as déjà remboursé ta dette, c'est ça ? C'est pour ça que tu boudes ?
Si Inari avait trouvé l'idée le premier, Driss s'était empressé de l'appliquer à son propre compte. Ils se sentaient tous les deux un peu trop bien à Fancy Candies et la dette qu'ils devaient rembourser, censée les enchainer pour des années au service de Mordigann, s'était comblée bien trop vite à leur goût. Alors, contrairement à Aello ou Lotis qui peinaient chaque jour à ne pas augmenter un peu plus leurs créances plutôt qu'à les rembourser, ils avaient bien failli se retrouver trop vite libres de leurs engagements.
Alors ils changeaient leurs garde-robes toutes les semaines, et refaisaient la décoration de leur chambre au moins une fois par mois. Pour ne pas lasser les clients, soit disant. C'était en réalité autant pour se faire plaisir que pour avoir une raison de rester au service de la maison. Parfois, Mordigann disait qu'il avait bien envie de les voir décamper avec tout leur attirail, eux qui étaient les moins dociles de ses pensionnaires. Driss, surtout. Les émotions d'Inari étaient bien plus instables. Mais l'efrit, lui, se savait parfaitement libre et indépendant.
– C'est rien...
Peu convaincu, Inari grimpa à cheval sur lui, posant les mains à plats sur les muscles fermes de son ventre. Driss ne portait rien d'autre qu'un pantalon de lin blanc. Le kitsune fit doucement glisser ses mains sur les muscles sombres de son ami.
– Rien d'important, ou rien que je ne peux comprendre ?
Driss l'observa en fronçant très élégamment les sourcils. Inari était un renard, après tout. Ingénu et superficiel, mais un renard malgré tout. Il manquait peut-être d'éducation, mais quand il le voulait, il saisissait vite.
Après un temps d'hésitation, il finit par avouer ce qui le tracassait.
– C'est à cause de ce qu'un client m'a dit l'autre soir, à la fête... Il y a des rumeurs inquiétantes en ville et ça ne me plait pas trop.
– Des rumeurs ? Quel genre de rumeurs ?
Cette fois, Driss prit le temps de réfléchir sérieusement avant de répondre. Est-ce qu'il pouvait vraiment lui parler de ces histoires de monstre ? Il ne voulait pas inquiéter Inari. S'il avait vu juste, ils ne risquaient pas grand-chose, de toute façon... Mais il avait encore moins de raison de lui mentir pour le préserver.
– Il parait qu'il y a un nouveau croque-mitaine dans les parages.
Les doigts d'Inari cessèrent aussitôt leur mouvement régulier sur son torse. Les caresses reprirent après quelques petites secondes, le démon renard se contentant d'hausser les épaules, comme si de rien n'était.
– Et alors ? Tu as peur qu'il vienne te tirer les orteils ?
Driss ricana. Les mains chaudes d'Inari, sur les muscles de son ventre, réveillaient peu à peu ses sens et commençaient à lui arracher des frissons. Ce n'était pas par hasard que son ami s'était installé à califourchon sur ses hanches. Le poids de son corps sur le sien était très agréable et son kimono s'échancrait avec délice. Sans réfléchir, il se mit à caresser du bout des doigts les cuisses de son camarade, à travers le tissu soyeux.
– J'ai plutôt peur qu'il m'en croque un bout. Ou pire, un bout des tiens.
Inari se pencha en avant et fronça les sourcils, le regard espiègle. Ces jours-ci, il avait teint quelques mèches de ses cheveux noirs en bleu électrique et en orange flamboyant. Driss eut soudain très envie d'enfouir les doigts dans sa tignasse pour jouer avec.
– Tu veux que je vienne dormir avec toi pour te protéger ?
– Oh oui, j'adorerais.
L'efrit prouva sa déclaration en s'emparant des lèvres Inari. Ce dernier le força à se rallonger en se penchant en avant. Il chercha les doigts de Driss pour les croiser au sien, et les maintint appuyé sur la dormeuse, au-dessus de leurs têtes. Le démon renard possédait une force insoupçonnée et à travers les pans largement ouverts de son kimono, Driss le vit bander les muscles pour garder sa prise sur lui.
Le baiser rompu, Inari souffla doucement contre ses lèvres, le sourire moqueur.
– Comme si Mordigann laisserait un croque-mitaine entrer dans la maison. Il ne pourrait même pas mettre un pied dans la boutique.
Il y avait tant de certitudes dans sa voix que Driss en fut déstabilisé. Il tendit un peu la nuque pour le fixer, perplexe. Il se rappelait qu'Inari était arrivé après lui, parmi les pensionnaires de la maison. À l'époque, Mordigann avait déjà profondément entamé la rénovation de son établissement, qui avait sensiblement le même aspect aujourd'hui.
– Inari... personne ne t'as jamais raconté ce qu'était la maison Fancy Candies, avant que Mordigann en hérite ?
Ce fut au tour du renard d'être perplexe. Il s'allongea confortablement sur lui, croisant les bras sur son torse, le recouvrant de son poids sans le moindre complexe.
– Je crois pas, non. Pourquoi ? Je croyais que c'était un vieux magasin en ruine ?
Driss fronça les sourcils. Forcément, si même Inari n'était pas au courant, les autres ne devaient pas avoir plus de soupçons que lui. Seul Elendil devait tout savoir, puisqu'il avait fondé la maison avec Mordigann. C'était admirable que le patron ait réussi à faire ignorer à ses propres pensionnaires la sinistre réputation de son établissement, avant qu'il n'en devienne le propriétaire.
– Pendant longtemps, oui. Mais avant d'être abandonné, c'était déjà une pâtisserie...
Il allait continuer, quand Inari se redressa si vite et si fort qu'il manqua de glisser. Le visage fermé et la nuque raide, comme un animal aux aguets, il fixa la porte avec insistance. Driss se redressa lui aussi, sans continuer son récit.
Quelque chose dans l'air ne lui disait rien qui vaille.
Une impression confirmée quand l'aboiement sourd de Purr fit vibrer les murs et les portes du couloir, les faisant tous les deux sursauter.
– Il y a un quelqu'un dans la maison.
– Quelqu'un ?
Les pupilles d'Inari se fendirent.
– Quelqu'un d'inconnu.
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Fancy Candies
Fantasía(MM, fantasy, contenu adulte) Libéré du marché noir, Flocon, fée des neiges à l'allure androgyne, est forcé d'intégrer la maison Fancy Candies, un établissement réputé dans tout le monde magique. Pour rembourser sa dette, il se joint aux autres pens...