Huitième bonbon - 4/4

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L'elfe referma solidement la porte derrière lui et fixa un instant la poignée comme pour vérifier qu'elle était bien fermée. L'odeur de tabac persista une seconde avant d'être remplacée par les parfums épicés qui embaumaient toujours le salon.

Aello était resté seul sur le grand canapé. Il comptait ses billets avec application, de son œil de rapace. Elendil se planta devant lui et croisa les bras.

– Ça a marché ?

– Et comment, répondit Aello.

Il lui tendit une généreuse liasse de billet que l'elfe ne put s'empêcher de recompter, par précaution. Mais aussi pour savourer la récompense de tous ses efforts. Ce n'était pas facile de s'introduire dans les cuisines de la pâtisserie. Il y avait des fantômes dans tous les coins.

– Tant mieux. Si tu savais le temps que j'ai passé à graver chacun de ces maudits cupcakes, grommela Elendil.

Il humidifia le bout de son index pour mieux trier sa monnaie.

Aello joignit les mains sur les genoux pour le regarder faire. En ce moment, le jeune homme avait la manie de tresser des plumes dans ses cheveux clairs, sans doute pour se démarquer un peu de tous les autres blonds parmi les pensionnaires, bien qu'ils évoluaient chacun dans une catégorie différente. C'était peut-être une pratique en vogue, chez les harpies.

– Tu n'as pas peur que Bernabé se doute de quelque chose ?

Elendil haussa les épaules, la mine impassible. Il plia soigneusement la liasse de billets pour la faire disparaître dans une poche de son élégant pantalon.

– Il a beaucoup trop de personnes à soupçonner avant de m'accuser moi...

Aello ricana, et lui tendit la main.

– C'était un plaisir de faire affaire avec toi.

Ils échangèrent une franche poignée fraternelle pour sceller leur contrat. Ils aimaient tous les deux les affaires rondement menées.

Son salaire empoché, Elendil ne s'attarda pas dans le salon désert. Il laissa Aello a ses occupations matinales et repartit par là où il était arrivé, plus lourd de ses quelques billets.

Il constata avec aigreur que Mordigann n'avait pas bougé. Adossé contre la porte du bureau, il avait probablement allumé une seconde cigarette, se servant de son paquet comme d'un cendrier de fortune. Comme à l'aller, Elendil fit en sorte de ne pas croiser son regard, le port de tête altier, le bout du couloir comme seul horizon.

Mordigann, lui, ne le quitta pas des yeux. Il se redressa légèrement après avoir tiré une longue bouffée de sa cigarette.

– Dès qu'il y a une histoire de pari, il faut toujours que tu t'en mêles...

Si Elendil battit des cils sous le coup de la surprise, il prit le temps de se composer un visage hostile avant de se retourner vers Mordigann. Les bras croisés, il l'observa sans se démonter.

– Ça te pose un problème... ?

Ils s'observèrent en silence dans la lumière pâle du couloir. Les yeux perçants de Mordigann n'avaient jamais réussi à faire ciller Elendil. Pas dans ces circonstances-là, du moins. En dehors de Laè, l'elfe était sans doute la seule personne du monde magique qui n'avait pas peur de lui. Ou qui savait le mieux feindre l'assurance en sa présence.

– Pas tant que ça ne me coute pas d'argent, se contenta de répondre Mordigann en abaissant sa cigarette.

Avec un sourire aussi faux que forcé, Elendil tourna les talons et s'éloigna sans rien ajouter. Sans aller très loin, cependant. Il s'arrêta au bout de quelques pas, quand il entendit Mordigann se redresser.

– Elendil...

Le ton de sa voix grave était étonnamment hésitant, tellement que cela manqua de le faire chanceler.

Pourtant, l'elfe ne répondit pas. Il retint un soupir et se força à ne pas se retourner. L'odeur de tabac était tenace, toute proche. Mordigann devait être juste derrière lui, à portée de bras. Il sentait ses yeux sombres rivés sur son échine, imaginait sans peine son visage aussi fermé que d'ordinaire, beaucoup plus inflexible que sa voix incertaine.

– Garde tes excuses, Mordigann. Ça ne te va pas d'essayer d'être sincère.

Elendil le planta là, sans le moindre état d'âme, disparaissant dans la cage d'escalier pour regagner ses appartements à l'étage. Son patron le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il disparaisse, fumant sa cigarette sans rien ajouter.

Il jeta le mégot à même le plancher pour l'écraser sous son talon. Les domestiques fantômes passeraient pour tout nettoyer. Il regagna son bureau sans décrocher la mâchoire, le regard inexorablement attiré par les tas de papiers qui s'accumulaient sur le meuble de bois vernis. Il n'avait même pas déplié la dernière lettre qu'il avait reçue, se contentant de la sortir de l'enveloppe pour la jeter par-dessus le reste sans prendre la peine d'en découvrir le contenu. Un papier sec et noirci par la suie, griffonnée à la cendre blanche. Il savait très bien de qui elle venait et pourquoi on la lui envoyait.

Alors pourquoi ses pensionnaires s'évertuaient à contrarier tous ces projets pour tenir le croquemitaine à l'écart ?

Fancy CandiesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant