Septième bonbon - 2/3

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Agenouillé sur le sol de sa chambre, Purr redressa vivement le nez. Il avait l'odorat sensible à l'approche de la pleine lune, tellement qu'il pouvait identifier les parfums des pensionnaires chaque fois qu'ils passaient dans le couloir. Et cette odeur, il en aurait mis sa queue à couper, c'était celle de Laè.

Il le croyait dehors avec les autres, pour tenter d'oublier la chaleur. Purr la ressentait à peine dans sa chambre, et il n'avait pas été trop fâché d'apprendre qu'il avait plusieurs rendez-vous pour la journée. Ce n'était pas parce qu'il n'aimait pas rester avec les autres... Mais depuis l'incident de l'autre jour, ses chaleurs subites et son intrusion dans la chambre de Laè, il y avait comme un petit froid entre eux. Un froid dont il ne savait même pas la raison et qu'il ne pouvait que subir en attendant que ça aille mieux.

Une caresse sur son menton le tira soudain de ses pensées et il déglutit, frémissant tout entier. Le cuir de la cravache était doux contre sa peau, le faisait trembler d'excitation et couiner de plaisir. Agenouillé sur le sol, sa tenue de sangles de cuir lui liait les deux mains dans le dos et il ne pouvait rien faire d'autre que lancer un regard suppliant à son maître. Une cravache, ce n'était pas assez. Il avait des tas d'autres jouets dans sa chambre, plus recherchés et plus raffinés. Mais Mordy l'avait prévenu que ce client-là était un apprenti. Trop mou, trop mesuré, l'humain lui tournait autour depuis un petit moment et ne faisait rien d'autre que le titiller, sans passer aux choses sérieuses.

– Je suis à vous, maitre... gémit-il avec docilité, le regard fauve étonnamment brillant. N'ayez pas peur... Faites de moi tout ce que vous voulez...

Un client expérimenté l'aurait déjà puni pour avoir osé prendre la parole, mais l'humain se contenta de sourire, cherchant encore ce qu'il allait bien pouvoir faire du lycanthrope soumis dans sa tenue de cuir.

Perplexe, Purr se demanda si ce n'était pas en fait une forme de sadisme qu'on ne lui avait encore jamais montré, plutôt que de la simple inexpérience. Quand il leur faisait ses grands yeux humides, ses maîtres avaient toujours envie de passer à la vitesse supérieure et cessaient de jouer avec sa patience en faisant durer l'excitation.

Une nuée de corbeau passa en croissant devant les fenêtres de sa chambre, tâches sombres et rapides devant la pleine lune écarlate. Cela fit sursauter son client, détournant son attention quelques secondes.

Purr retint un couinement frustré. Il avait de plus en plus de mal à trouver des membres à son goût, ces derniers temps. Il était un loup bêta, il avait besoin d'être dominé, écrasé, de subir la toute-puissance d'un maître autoritaire. Il ne connaissait pas la honte et l'humiliation, il s'en délectait.

Rares étaient ceux qui arrivaient encore à le satisfaire. La bête en lui était de plus en plus frustrée, contrariée par ces faux dominants qui se ressemblaient tous et ne comprenaient pas ce qu'il voulait vraiment. Même le mâle alpha de l'autre jour lui avait semblé... insipide.

Il n'avait pourtant pas son mot à dire. Purr était l'hôte, pas le client : il restait professionnel, ils payaient pour un rendez-vous avec lui et leurs désirs devaient passer avant les siens. C'était bien ce qui le frustrait le plus. Parce qu'il ne pouvait décemment pas abandonner son maître maladroit pour courir rejoindre Laè et lui demander pourquoi il semblait si triste.

Laè se glissa dans la grande pièce froide et inspira à plein poumon. Cette salle de bain-là était de loin sa préférée et il la rejoignait toujours avec plaisir, malgré le petit vague à l'âme qu'elle lui donnait immanquablement. Une mer calme roulait sagement jusqu'à une plage de galets, bordée de roches aussi polies qu'affutées par les vagues. On ne voyait pas de murs, seulement une brume épaisse et opaque qui servait de cloison à cette crique agréable.

L'eau était aussi salée que fraiche, mais sa morsure était familière et il s'enfonça sans hésiter. La mer était presque aussi lisse que la surface d'un lac, à peine ridée par de très légères vagues. Il avait beau avoir une peau d'humain, il restait un Selkie avant tout. L'eau glaciale était son élément.

Après avoir fait quelques pas, jusqu'à ce que les flots chatouillent son nombril et recouvrent ses hanches, Laè ferma les yeux et plongea en avant dans l'eau froide. Il appréciait la fraicheur après la chaleur étouffante qu'il avait subi toute la journée, la sensation de glisser sans effort dans la mer, de nager sous la surface, loin, longtemps. Il ressortit à peine la tête pour respirer, ses longs cheveux noirs collés sur son crâne, les pointes flottant autour de ses épaules. Il essuya son visage ruisselant d'eau et replongea, virevolta, alla caresser le fond de l'eau. Le selkie ouvrit les paupières, ignorant le sel qui piquait ses yeux d'humain, l'eau trouble et verte dans laquelle il ne voyait pas grand-chose. Il n'y avait pas de poissons de toute manière, mais ça faisait partie du plaisir de nager, de voir où il allait quand il se propulsait sous la surface.

Beaucoup moins vite, cependant, que ce qu'il aurait voulu. Il s'aventura jusqu'à ne plus avoir pieds et nagea longtemps, tournant sous l'eau au gré de ses envies. Le bassin était vaste, il le savait, mais d'autres plages et d'autres rochers cachés par la brume le bordaient où qu'il aille. De toute façon, en pleine mer, Laè se serait épuisé bien avant d'avoir pu aller aussi loin qu'il le voulait. Ce corps d'humain était lent et peu endurant dans l'eau. Fait pour la terre ferme et pas pour la natation.

En quelques brasses plus calmes, flottant au hasard plus qu'il ne nageait vraiment, il retourna vers un bloc de rochers qu'il savait confortable et s'assit tout contre eux, étendant ses longues jambes sur le sable grossier au fond de l'eau. Sa tête bascula en arrière. Les yeux clos, il poussa un soupir, se contentant de reposer là, les vagues le soulevant par intermittence quand elles ne s'échouaient pas contre les muscles de son torse.

La mer lui manquait.

La mer et les siens, et son ancienne vie, et son autre corps. Un cataclysme s'était abattu sur lui depuis le jour où on lui avait dérobé sa précieuse peau. Sans elle, il ne pouvait plus reprendre son apparence aquatique et retourner parmi son peuple.

Si on la lui avait volée pour faire de lui un esclave, comme le racontaient toutes ces légendes qui parfois devenaient vraies, sa situation aurait sans doute été moins pire. Il aurait été forcé d'obéir à son tortionnaire mais il aurait pu le harceler, ou aurait au moins été certain que sa peau de phoque n'était pas très définitivement perdue.

Mais là... ? Personne n'était venu le réclamer. On avait juste emporté la peau. Elle avait disparu sans laisser de traces. Elle pouvait se trouver partout, dans n'importe quel plan magique, ou bien dans le monde réel.

Il soupira. Il se disait souvent qu'il allait peut-être lui falloir admettre qu'il ne la retrouverait jamais, et réfléchir à ce qu'il pourrait bien faire du reste de sa vie d'humain.

Les grands yeux bleus de Flocon surgirent dans son champ de vision.

Fancy CandiesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant