Alors que le funiculaire arrivait tout juste à l'Arc 1600, les gens se bousculaient déjà pour sortir les premiers. On ressentait l'empressement et l'excitation de chacun. Pour certains, c'était le désir de découverte qui parlait. Pour d'autres, c'était le souvenir des sensations fortes qui les attendaient qui ressortait.
— Bien ! lança mon frère après avoir tapé dans les mains. Avant que maman, Roman et Amandine aillent faire un tour à la place du Soleil, je dois vous donner vos pass.
Gauthier se gratta la tête ou le bonnet plutôt et sembla soudainement embêté.
— Merci mec pour le...
— Je t'arrête direct, je refuse tout remboursement. Considère cela comme mon cadeau de Noël, s'empressa de dire Lucien.
Oui, il avait bon cœur mon petit frère.
***
Quand nous revînmes tous les trois, nos skis enfin loués, les hommes étaient en pleine discussion. Enfin c'était plutôt Lucien et Gauthier (qui nous tournaient le dos contrairement à Gustav) qui se donnaient des défis mutuellement.
— Non et non ! rouspéta Gauthier. Je veux le 2000. Je refuse de rester là, c'est de la taffole ici ! Moi je veux le spot et tu as entendu ce qu'a dit le mec de tout à l'heure, la peuf est géniale sur l'Arc 2000 !
— Ouais je sais, je sais, mais enfin nous ne sommes pas seuls ! Ça serait cool de pouvoir rester tous ensemble, tu ne crois pas ? répondit mon frère qui visiblement n'avait plus vraiment envie de se la jouer sportif de haut niveau.
— Écoutez les jeunes, si vous voulez tant faire vos compétitions, ce n'est pas en restant sur la piste des débutants que vous pourrez glisser à vos aises, les interrompit Gustav.
— Ton père a raison, comment veux-tu faire des fakies ici ? Je t'ai promis de te montrer mes slides ! Tu vas voir comment je gère sur les rails, s'excita le jeune Brandi en soulevant son snowboard.
Gustav secoua la tête puis roula des yeux lorsque nous arrivâmes à leur hauteur.
— C'est comme ça depuis que vous êtes partis ! soupira-t-il.
Je n'en doutais pas une seule seconde. Je n'avais pas fait énormément de sorties au ski avec Gauthier mais de ce que je me souvenais, même gamin, il était du genre à griller tout le monde pour être le premier au sommet et adorait descendre comme un fou. Cela faisait toujours hurler Chloé qui imaginait son frère se casser une jambe. Et à l'époque, il faisait du ski, pas du snowboard (qui était bien plus dur à maîtriser au départ et encore moins sûr).
— On pourra faire nos figures lorsque l'on ira faire du freeride ! lança Lucien.
— Dis donc chaton, depuis quand tu parles de hors-piste devant tout le monde ? le taquina Gustav.
— Depuis que toi et moi, on passe nos dimanche matins à chevaucher la neige, répliqua Lucien en rigolant.
Aussitôt prononcé, aussitôt enregistré :
— Vous faites vraiment du hors-piste ? s'inquiéta maman. Ce n'est pas croyable ! Comment pouvez-vous être inconscients à ce point ?
C'était la première réplique qu'elle adressait à papa depuis le début.
— Relaxe, on gère. On connaît le coin. C'est pas comme si on était des débutants, tenta de la rassurer Lucien.
J'avais pensé qu'elle savait pour le freeride... Mais en y réfléchissant bien, c'était évident que mon frère n'allait pas le dire à notre mère, de peur de l'inquiéter.
— Comment peux-tu laisser ton fils affronter un tel danger ?
— Oh tu exagères Jennifer ! C'est pas si dangereux que ça.
— Ah, bien sûr ! Avec ce nombre incalculable d'avalanches qui arrivent chaque année, ce n'est pas dangereux peut-être ? s'exclama-t-elle en haussant le ton.
— Ne joue pas à la mère parfaite je te prie, parce que je te rappelle que c'est de ta faute si notre fille est partie durant cinq ans ! C'est de ta faute car tu as foutu en l'air ta famille pour un abruti !
— Ce n'est pas parce que j'ai été une imbécile et ai fait partir Amandine que tu dois mettre la vie de notre fils en danger pour autant Jörgen ! renchérit-elle, les poings serrés.
Tout le monde se tut, y compris le concerné. Il était très rare que maman l'appelle par son deuxième prénom et quand cela arrivait, c'était soit synonyme de tornades de colère ou bien d'immenses flots de pleurs.
— Vas-tu me le reprocher toute ma vie ? Vas-tu me laisser dans cette impasse durant des années encore pour que je finisse par ramper lamentablement à tes pieds afin que tu m'accordes enfin ton pardon ?
— Non, non, non, eh ! C'était pas supposé se passer ainsi ! lança Lucien dont la voix trahissait la panique.
— Crois-tu que ce soit facile de passer au-dessus d'une claque comme celle que tu m'as assenée en retournant avec cet homme sans cervelle ? Je t'aimais et toi tu m'as piétiné le cœur !
— Oh c'est pas vrai, murmura Lucien en plaquant sa main sur son front.
— Je me suis excusée ! Je t'ai dit à quel point je regrettais mes actes et toi tu refuses de m'accorder ton pardon !
— C'est ça que tu appelles t'excuser, envoyer deux petits ridicules messages ? Cinq ans, cela t'a pris cinq longues années pour que tu mettes des mots sur les torts que tu nous as tous causés ! répliqua aussitôt Gustav.
— Quels messages ? demanda mon frère qui n'avait définitivement plus aucun contrôle sur la situation.
— Ah, parce que tu vas me dire que tu me faisais encore la gueule à chaque fois que nous nous sommes vus durant ces quatre dernières années ? rétorqua maman.
— Peut-être bien !
— Et lorsque tu m'as embrassée l'année dernière, là aussi tu me détestais ?
Lucien et moi nous regardâmes, surpris. Quel baiser ?
— Ne vois-tu pas que tu gâches la journée des enfants ? soupira Gustav en nous jetant un coup d'œil.
Nous devions probablement tous faire la même tête.
— J'ai fait une erreur Jörgen. Une terrible erreur et je m'en mordrai les doigts toute ma vie. Mais comment peux-tu me laisser sans réponse lorsque je m'ouvre à toi ? Comment as-tu pu ignorer mes messages ?
Les yeux de maman brillaient et sa voix faiblit sur la fin de son discours.
— Je ne les ai pas ignorés. Je les ai lus, répondit Gustav dans un soupir.
— Alors pourquoi ne pas m'avoir répondu ?
La voix de maman venait juste d'exploser, mais ce que je remarquai avant tout, c'était la petite flamme qui venait de s'éteindre dans les yeux clairs de mon père. Ma mère l'avait brisé.
— Pourquoi être distant ? insista-t-elle.
— Parce que je n'ai jamais arrêté de t'aimer et que tu me rends fou Jen ! Je déteste le pouvoir que tu as sur moi. Un mot, un sourire et tu réduis mon cœur à néant, fichtre de merde alors !
On retint tous notre souffle. Là, tout de suite, je n'avais qu'une seule envie : me jeter dans les bras de mon père et le consoler car ses yeux humides me nouaient la gorge.
— Bon, souffla-t-il au bout de quelques secondes de silence et après s'être gratté sa barbe, arrêtons un peu. Regarde comment tout le monde est mal à l'aise...
Ce fut sous le regard surpris de chacun que Gustav engagea le pas.
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Noël chez les Carlier (Terminée)
ChickLitLe jour où Amandine reçoit un mail de sa mère lui annonçant que sa grand-mère Rose est mourante et que le dernier souhait de cette dernière est de revoir sa petite fille, la jeune femme est catégorique : il est hors de question qu'elle revienne dans...