Les souvenirs de famille

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Revoir Chloé fut étrange. Très étrange même, pour tout dire...

Cela ne fut pas aussi facile qu'avec maman. Il y eut de nombreux blancs et par conséquent, de la gêne. Mais peut-être que cela arriva aussi parce qu'elle était supposée surveiller la bijouterie. Enfin, le verbe « surveiller » n'était peut-être pas le bon terme. Elle était plutôt là pour rassurer le propriétaire qui était une bonne connaissance à elle.

Oui, visiblement, Chloé avait toujours aussi bon cœur. Et elle était toujours aussi belle.

Avec sa sublime chevelure vénitienne, ses yeux clairs en amande et son teint de porcelaine, elle paraissait ne pas avoir pris une ride, contrairement à moi qui en avait découvert une sur le front, deux ans plus tôt. A moitié féminine et masculine dans sa tenue de travail, je devais reconnaître qu'elle m'impressionna un peu sur le moment.

C'était définitif : Lucien ne s'emmerdait pas. Entre la gentillesse, la beauté et le courage de son boulot professionnel comme celui de mère, il était vraiment tombé sur la perle rare. Bon, je ne pouvais pas trop me plaindre, puisque j'avais moi aussi trouvé ma perle rare : Roman. Plus le temps passait et plus je réalisais à quel point je ne pouvais pas vivre sans lui.

Après quelques ratés et des sourires gênés, Chloé et moi finîmes par trouver un sujet de conversation, le même sujet qui paradait devant nous depuis plusieurs minutes : mon frère. Si cela m'avait fait bizarre au départ qu'elle et Lucien sortent ensemble, je fus finalement rassurée par ses mots et le regard qu'elle coulait à mon protégé. Chloé aimait mon frère et inversement.

Après quelques plaisanteries houleuses de la part de Lucien, nous dîmes vouloir discuter toutes les deux et mon frère partit faire un tour dans le supermarché. Certes, un certain Père Noël un peu trop déconneur était encore dans le coin à nous jeter des coups d'œil, mais faire abstraction de lui était plus facile que faire abstraction du lutin de grand-mère, car le premier ne pouvait pas quitter son poste.

Tout à coup seule avec mon ancienne meilleure amie, je me rendis compte que je ne savais pas comment avouer à Chloé que j'étais au courant de sa situation.

— A ce que je vois, tu as gardé la manie de te mordre les lèvres dès que tu es contrariée. Rassure-toi, je savais que Lucien te parlerait de nous. Ça fait des années qu'il n'a pas vu sa sœur, c'était évident qu'il voudrait se confier de sa vie amoureuse et de celle avec qui il la partage. Je ne lui en veux pas. Et bien sûr, parce que je sais que tu as vite fait de te faire film dans ta petite tête, je vais rajouter que je ne t'en veux pas non plus d'être au courant.

Chloé connaissait bien Lucien. Et elle me connaissait bien aussi. Enfin, elle nous connaissait bien, pour être tout à fait exacte. Depuis toujours, nous avions un lien particulier mon frère et moi. Nous l'avions eu dès le premier jour où nous nous étions rencontrés.

Je me souvenais qu'alors qu'il était à la maternité, dans les bras de maman, il avait enroulé sa petite main autour de mon doigt et dès l'instant, j'avais su qu'il serait un des hommes les plus importants pour moi. Dans mes souvenirs, l'émotion était toujours aussi grande. Le cœur explosant, les larmes coulant sur mes joues, j'avais senti que j'allais enfin avoir un ami. Parce que même si ma mère avait été là pour moi, j'avais conscience que Lucien serait différent, car il serait mon petit frère. Mon complice de bêtises. Mon complice dans l'apprentissage de la vie. Mon complice à moi.

Durant quelques secondes, des images, les unes après les autres, avaient défilé dans mon esprit...

Son premier mot, encore peu éloigné du babillage.

Ses premiers pas hésitants sous nos encouragements, à maman et Gustav.

Son premier jour d'école et ses pleurs parce qu'il ne voulait pas quitter la maison.

Noël chez les Carlier (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant