Piano

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Piano, piano, chante, chante, et court sur les touches.

Piano, piano, pianote, joue, et construit une mélodie.

Piano, fait de la musique, produit des sons, et semble s'écouler en une infinité de notes qui grimpent et redescendent, montent toujours plus haut, chutent toujours plus bas, dans un ballet vertigineux et interminable, comme si on déroulait l'histoire de quelqu'un, de quelque chose, ou du monde.

Piano, c'est piano, c'est un peu merveilleux, c'est un peu magique, et c'est beau.

C'est nouveau, ancien, paradoxal, paroxysmique, tectonique, élémentaire, comme s'il avait toujours été niché dans le creux de mon oreille.

Il est triste et dramatique, grave. Il est un peu sombre, comme la nuit, comme la profondeur du ciel qu'il crève pourtant comme une étoile. Il pique le silence, le parsème de minuscules cristaux de glace qui flottent dans l'air, résonnent une poignée de secondes, avant de se suspendre à la poussière. Sa mélancolie embaume l'atmosphère, l'entoure dans un cocon un peu mat comme des volutes de fumée où il est dur de percevoir autre chose. Et pourtant, il est vivifiant, frais, transperçant, mais il n'y a que lui au monde. Il y a lui et moi, nous, une entité singulière constituée de métaphysique et de réel, de mon corps que j'oublie parfois, de son essence et de la mienne. Parfois aussi, il y a une toute petite personne dissimulée dans ma poitrine, qui soulève doucement le rideau qui la cache pour venir s'asseoir à son pied. Elle écoute, sans bruit, et de temps en temps, elle lui parle. Elle parle de sa vie, cette vie un peu étrange qu'elle passe à observer, comme un animal, et qu'elle ne raconte jamais à personne. Elle la partage, aussi longtemps qu'il partage sa musique, elle se libère de son mutisme, raconte la nostalgie et le silence, et la solitude. Elle lui conte la peur et l'anxiété, la honte, la tristesse. Il l'écoute à sa manière, et lui montre qu'il comprend, qu'il voit à quoi ça ressemble de regarder, de loin. Elle acquiesce, d'un mouvement de la tête, parce qu'elle n'a rien à rajouter. Il ne cherche pas à percer les secrets qu'elle conserve si précieusement et qu'elle traîne comme un drôle de bagage, il cherche juste à les illustrer. Alors elle continue d'acquiescer, elle sourit faiblement mais toujours avec cet air un peu perdu dans l'au-delà, et son cœur est plus léger. Elle s'endort souvent, et quand elle se réveille il est parti. Elle se lève, et retourne se cacher, soulagée d'avoir pu faire une pause dans son travail de préservation de l'esprit. Elle ramasse sa petite valise, et le nous, de là-haut, la regarde partir, tandis que piano attend qu'elle revienne lui parler, et que moi je retourne dans la réalité.

Les notes gravissent, escaladent piano, moi je dégringole, je glisse, et la toute petite personne nichée s'interroge quand elle remarque que quelqu'un a ouvert son bagage. Elle n'ose pas trop chercher, mais en entendant le creux de sa poitrine commencer à chanter, ses yeux sourient avec hésitation et elle repart s'assoir près de lui. Elle n'a pas besoin de lumière ou de chaleur, de paroles, de gestes ou de couleur.
La seule personne capable de transcrire son cœur ne danse qu'en noir et blanc.

Pourquoi j'aurai dû naître animaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant