illegal | 11

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01:32. Elle était couchée dans son lit, dans le noir. Un vieux rap passait en boucle dans ses oreilles, lui rappelant de mauvais souvenirs. Les larmes coulaient silencieusement sur ses joues pales, alors qu'elle mordait ses lèvres pour ne pas émettre le moindre son. Elle savait qu'elle se faisait du mal, mais c'était comme si elle en avait cruellement besoin. Se rappeler le passé, prévoir l'avenir, regarder le présent d'un regard dédaigneux, tout ça, Irène le faisait sans même tellement y penser, c'était juste que tout fusait dans son esprit aussi vite que les paroles débitées par le rappeur tant aimé de la jeune fille.

Elle se revoyait parfaitement, marcher rapidement sur le parking humide, la pluie et le vent lui glaçant le sang sous sa parka kaki aux allures de blouson de pilote de chasse. Elle se revoyait atteindre la voiture, monter dedans, alors que les lumières des lampadaires lui agressaient les yeux. Les portes qui claquaient, le monologue incessant de sa grand-mère envers sa propre mère qui faisait mine d'écouter malgré ses tourments solitaires. Le moteur qui grondait, les roues qui crissaient, le paysage qui défilait, la pénombre de l'habitacle, le bruit de fond maternel, puis soudain, une coupure, une douce mélodie qui frappait les tympans d'Irène. Le regard fixé vers la lune, comme si fermer les yeux était interdit, elle préférait se concentrer sur la musique et les paroles pleines de sens que sur les brides du passé que rabâchait sa pauvre mamie. Dieu sait qu'elle l'aimait, de tout son coeur pourtant. Mais elle n'en pouvait plus. Il était tard et c'était encore à elle et sa mère de ramener sa grand-mère chez elle, après la clinique.

Et puis merde, la clinique. Les couloirs aux odeurs infâmes, le gel désinfectant, le vieux miroir mal accroché à l'un des murs, les portes peintes d'un vert écaillé, la nausée qui la prenait dès qu'elle posait un pied dans sa chambre.

Cette nuit-là, allongée dans son lit, écouteurs dans les oreilles et une folle envie de fumer, Irène eut mal. Très mal. Les larmes lui brouillaient la vue, mais pourtant, elle ne stoppait pas la musique. Ça faisait un an. Un an jour pour jour que tout avait foiré, et elle avait l'amère impression depuis tout ce temps que c'était de sa faute. Qu'elle n'avait pas été à la hauteur. Mais putain, elle n'y pouvait rien, elle ne pouvait rien faire contre le destin et ce putain d'arrêt cardiaque ! Elle pleura un peu plus, en pensant qu'elle donnerait bien tout pour remonter ce bordel de temps, et revivre cette superbe journée passée avec eux tous, dans leur crique, en France. Le pique-nique, les apéritifs habituels, la grande maison remplie de joie et de rire, le grand soleil, la mer resplendissante, l'amour d'une famille unie que rien n'effraie.

Mais on ne remonte pas le temps.
Alors elle ferma un peu plus les yeux et serra un peu plus les dents, les larmes coulèrent un peu plus, encore une fois. Ce n'était rien, ça allait passer. C'était juste un vis de plus qui la rendrait forte, tout allait bien se passer. Elle arracha violemment ses écouteurs et étouffa ses pleurs dans son oreiller.

~~

- Irène ?

La brune releva la tête de son dessin clandestin sur un coin de son classeur et croisa le regard de sa prof de coréen. Elle opina du chef, comme pour inciter la plus veille à continuer.

- Tu viendras me voir à la fin du cours s'il te plaît.

Irène ignorait bien pourquoi, elle ne se rappelait pas avoir fait quelque chose de mal. La prof passa à autre chose en rendant sa copie à Seulgi. Un beau zéro l'ornait, puisque la jeune fille n'avait pas écrit une ligne du sujet du cours d'avant. Irène comprit bien vite que la prof voulait la voir en rapport avec son devoir, car elle l'observa en train de le ranger sur son bureau au lieu de lui rendre. Le cours commença et Irène fit un gros effort pour suivre un minimum, en vérité, sa pseudo dispute avec Joy la tourmentait car elle détestait les conflits, sans compter que la situation était électrique chez elle, du fait de sa dispute avec sa mère mais surtout à cause de la famille, comme toujours. Les relations s'effritaient entre oncles, tantes et grands parents, et c'était les parents d'Irène qui devaient en recoller les morceaux, pour ne pas changer.

À la fin du cours, tous les élèves partirent et Seulgi informa Irène qu'elle l'attendait devant la porte. Irène eut droit à un sourire ravageur de la part de Jungkook, puis à une remarque dont elle n'en avait rien à faire, du genre:

- T'as fait la bad girl ?

Elle ne lui répondit pas et sa professeure ferma la porte derrière le brun qui était pourtant bien décidé à rester. Irène se méfiait de cette femme, pourtant pas si veille, mais simplement car elle se méfiait de chaque nouvelle personne qu'elle rencontrait. Elle avait tendance à tirer d'hâtives conclusions, et la plupart du temps, elles étaient négatives, évidemment. Cette prof n'échappait pas à la règle. Elles se regardèrent un moment avant que la jeune fille ne demande ce qu'il se passait.

- J'ai lu ton texte, répondit l'autre en prenant la feuille.

- Ah, fût tout ce que trouva à dire Irène.

En réalité, elle était gênée qu'elle lui dise ça, c'était tellement personnel et impersonnel à la fois comme lignes qu'Irène ne savait pas quoi penser.

- Est-ce que tu as des problèmes Irène ? demanda l'adulte en plissant les yeux.

- Non, pourquoi ?

- Parce que j'ai trouvé ton texte très... très réaliste. Alors certes, c'était censé être réaliste, je ne te blâme pas sur ce point, c'est un texte très réussi et par ailleurs tu as eu une excellente note, fais cependant attention au langage familier, mais je m'inquiète pour toi.

« Vous vous inquiétez pour la mouche qui vole », pensa Irène en son fort intérieur. Et c'était vrai, elle s'inquiétait pour les études de Jungkook ou de Yoongi sans comprendre qu'ils s'en foutaient juste de l'école et qu'ils ne faisaient pas d'efforts.

- J'ai tout inventé, il n'y a rien du tout.

- Tu es sûre ? Tu sais que si tu veux parler à quelqu'un tu peux, je suis ta professeure principale ou même au conseilleur scolaire.

- Non mais ça va, moi je n'ai rien vous savez.

Irène ignorait si elle était en train de lui mentir, ou si simplement, tout allait bien. Avait-elle le droit de se plaindre de la sorte dans un texte alors que globalement, sa vie n'était pas cauchemardesque ? Des fois, Irène se demandait si elle n'en faisait pas un peu trop et en avait honte. Mais c'était juste que certains jours, elle n'était pas très bien et tout sortait n'importe où, n'importe quand. Elle ne pouvait l'empêcher.

- Comme tu voudras.

La prof lui rendit sa feuille et la brune rejoignit directement Seulgi, qui attendait en compagnie de cet abruti de Jungkook et un peu plus loin, adossé au mur, Taehyung. Le populaire envoya un clin d'œil à Irène mais elle l'ignora, trop occupée à observer Taehyung du regard. Elle ne le savait pas, mais plus elle ignorait Jungkook, plus il devenait étrange. Et plus elle s'intéressait à Taehyung, plus il l'observait en permanence sans qu'elle ne s'en rende compte.




 Et plus elle s'intéressait à Taehyung, plus il l'observait en permanence sans qu'elle ne s'en rende compte

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𝙄𝙇𝙇𝙀𝙂𝘼𝙇Où les histoires vivent. Découvrez maintenant