Année 1072 de la cité de Lasiar, 1628 av. J.-C.
Accrochée à une montagne escarpée, bordée par une falaise plongeant dans la mer, Lasiar se dressait comme une forteresse imprenable, entièrement bâtie en kirta. Cette pierre lisse aussi noire que le charbon se teintait parfois de rais de lumière bleue dans l'obscurité.
Voilà plus d'un millénaire, sous les yeux ébahis des premiers peuples humains, Althæa avait fait surgir cette cité de nulle part. Sous sa volonté, la structure de la ville s'était présentée sous la forme de dix cercles concentriques, épousant la montagne jusqu'à son sommet. Cinq étages inférieurs et quatre supérieurs. Maudit, le sixième niveau de Lasiar ne fut jamais habité.
Chaque étage possédait sa propre fonction : Ratias, dépotoir des miséreux aux tâches ingrates ; Aqualis, siège de l'eau et de l'agriculture, et Artémis, chasse gardée des chasseurs bouchers. S'ensuivaient les quartiers artisans : Brasero, atelier des forgerons mineurs, et Tessi, vitrine des couturiers. Passé le niveau interdit se dressait le Labyrinthe, unique étage plafonné où résidaient les gardes de la cité. En raison de leur emplacement, ils protégeaient de façon officieuse les quartiers supérieurs : Siansa, laboratoire des savants et scientifiques, sous Noblia et ses nobles parfumeurs. Le dernier étage, Palati, se scindait en deux : d'un côté le palais des rois ; de l'autre les temples des dieux, plus discrets, surplombant toute la cité.
S'écoulant du sommet de la ville jusqu'aux champs, un fleuve irriguait de manière ingénieuse à la fois tous les quartiers et les terres cultivables, d'origine aride. Au-delà de ces murs et cultures, une forêt dense et sombre enserrait la ville en demi-cercle, jusqu'aux falaises qui rendaient la mer inaccessible. Althæa avait isolé la ville du reste du monde. Une prison pour ceux qui s'y trouvaient et un mystère rêvé pour tous les autres. Dès sa naissance, la cité évoluait hors du temps, qui s'écoulait selon son propre calendrier depuis la fondation de la ville. Chaque Lasarien naissait, vivait et mourait en nourrissant l'ambition de s'élever plus haut sur la montagne.
La nuit prospérait dans la cité noire, les rues à peine éclairées par la lumière des torches. Tout semblait calme quand un bruit de pas pressé résonna dans les avenues vides. Une jeune femme venue des bas-fonds de Ratias avançait à travers les étages inférieurs.
Ses seuls biens se trouvaient sur elle : une longue jupe de laine usée, trouée par les mites, et un veston élimé qui peinait à couvrir son ventre arrondi. Chancelante, elle s'appuya contre un mur lorsque des contractions la plièrent en deux. Son cri, étouffé, se perdit dans le silence de la nuit.
Abandonner son bébé sur les marches d'un temple demeurait son seul espoir. La pratique était courante, les adoptions se faisaient de cette façon à Lasiar, pour peu que quelqu'un désire l'enfant. Seule, à bout de force, Clara ne se voyait pas lui offrir d'avenir.
Elle grimpa marche après marche l'Ascension des rois, l'escalier historique qu'avait emprunté Lasiar, le premier souverain, pour entrer dans la ville. À l'origine, cette voie présentait l'unique moyen de franchir les différents murs d'enceinte. Depuis, d'autres passages étaient apparus le long des murs noirs, plus étroits, escarpés et dangereux. Clara les emprunta pour traverser le niveau six, fermé de nuit. Elle remercia sa bonne étoile dès qu'elle atteignit l'autre côté du Labyrinthe. Guidée par les conseils du père de son enfant, ni l'étage maudit ni les couloirs enchevêtrés n'eurent raison d'elle.
Ses contractions arrivèrent à leur paroxysme lorsqu'elle parvint à bout de force devant les temples. Là se trouvait un immense rond de kirta ancré dans le sol, communément appelé le Cercle de la Perfection. Celui-ci représentait les symboles de chacun des dix étages, qui définissaient leur identité et leur usage. Cette nuit, ils étaient éclairés par la mystérieuse lumière bleutée propre à la pierre noire. Les Lasariens la voyaient souvent comme un bon présage : le cercle s'illuminait à la venue de chaque nouveau roi.

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La Mère des Cendres
Fantasy« Je t'aime, plus que le monde entier. » Lorsque sa sœur lui avait fait cet aveu, Hadès n'imaginait pas à quel point il serait douloureux pour lui. L'instant d'après, Mythia s'effondrait dans ses bras, le laissant à la merci d'un monde où toute vie...