Chapitre 10 - 1 : L'ingéniosité d'un homme.

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La comtesse marchait d'un bon pas à travers les rues londoniennes, le cœur serré et les joues ruisselantes de larmes. Elle entendait gronder l'orage, ses fulgurations éclairaient le ciel de ramures lumineuses. Thémis tenait sa robe à deux mains, tête baissée, quelques mèches échappées de son chignon volaient au vent. Ce fut ainsi que le duc l'aperçut depuis sa calèche. Curieux et non préoccupé par l'état pitoyable dans lequel se trouvait celle qu'il avait décrété être, depuis qu'il avait mis un pied sur le sol anglais, « son épine personnelle dans ses coussinets ». Toutefois, ignorer une dame sans parapluie alors que le climat anglais faisait encore des siennes allait à l'encontre des principes d'un gentleman, combien même ladite dame l'insupportait. Et son cou gracile que ses crocs voulaient mordiller ne changeait rien à la donne. D'un coup de canne, Desiderio arrêta la calèche à quelques mètres d'elle. Le hennissement métallique des chevaux attira l'attention de la comtesse. Elle parut surprise de le voir sous la pluie, de fines gouttelettes d'eau s'accrochaient à ses longs cils noirs, avant de glisser le long de ses pommettes lorsqu'il cligna des paupières. Ses yeux mordorés ne paraissaient que plus irréel.

- Lady Thémis, je vous invite à monter dans ma calèche, après tout, nous devions nous rejoindre devant l'entreprise de votre père.

Elle ne sut si c'était le ton confiant du Lord ou son envie de chaleur humaine suite aux propos de Roy, mais elle accepta son offre sans piper mot. Une agréable chaleur irradiait du corps du Primum, repoussant la fraicheur de l'orage. Peu à peu sa peine reflua et son corps tomba dans une douce torpeur. Elle s'endormit, ignorante de l'énigme qu'elle représentait pour un certain tigre.

Thémis se réveilla au soudain coup de canne de San Silvestre, la calèche ralentissait. Elle se pencha vers la fenêtre, tentant d'apercevoir Barowmerry Entreprise, mais l'abondante pluie qui s'abattait sur Londres rendait la visibilité difficile. Toutefois ils pouvaient entendre divers bruits fendre la vapeur des cheminées de combustion. Ils étaient arrivés.

Ils marchèrent l'un à côté de l'autre, serrés et protégés par un seul parapluie. San Silvestre cherchait une échappatoire à l'étrange sensation de confort qui régnait entre eux. L'inspectrice, quant à elle, se sentait gênée d'une telle proximité. Elle préféra donc ignorer ce sur quoi elle n'avait aucune emprise, et se concentrer sur l'interrogatoire à venir. Une boule d'angoisse grandissait en Thémis. Dominant le quartier industriel, l'entreprise familiale sortait de l'ordinaire. D'énormes tentacules métalliques émergeaient telles des bras aux longs doigts des quatre coins de la manufacture. Leur fonction était capitale : porter de lourdes charges et aider les techniciens dans leur travail. Une intelligence artificielle crée par Gaspard et Roy, un secret jalousement gardé par les salariés. Lord Richard y tenait. Une des multiples choses que Thémis ne comprenait pas : pourquoi garder le génie de ses frères pour eux ? Comment avait-il fait pour s'assurer de leurs fidélités ? En y pensant bien, elle ne voulait pas savoir pour ce dernier point. Elle ne pouvait imaginer son père menacer voir pire, tuer des hommes pour son profit personnel. Après tout, il l'avait accueilli chaleureusement et traité comme sa propre fille.

Ils poussèrent une porte d'entrée en bronze des plus banales pour atterrir dans une nef aux arcs brisés, semblables aux cathédrales gothiques. Leurs yeux s'écarquillèrent face à la vue d'un gigantesque globe terrestre. De multiples points lumineux affichaient avec fierté l'influence industrielle de Barowmerry Entreprise dans le monde. Suivant les indications fléchées, ils se dirigèrent droit vers le bureau de Lord Richard. Des émanations d'huile et de charbon, cris d'ouvriers et grincements mécaniques les accompagnèrent tout au long du chemin. Enfin, une plaque aux lettres d'or indiqua l'homme recherché. Thémis leva son poing pour toquer à la porte, elle était convaincue que San Silvestre entendait son cœur battre la chamade. Cette appréhension était ridicule, son attitude était ridicule. Elle redressa les épaules en arrière puis avança alors qu'un « entrez » retentissait. Elle ouvrit la porte et rencontra le regard surpris de son père, avant qu'il n'affiche une expression neutre lorsque le duc pénétra son lieu de travail. Assis derrière son fauteuil directorial, le patriarche de la famille Barowmerry impressionnait ses visiteurs avec son costume fait sur mesure et ses lunettes plantées sur son nez tels deux miradors. Plans et outils de calculs peuplaient son bureau. D'un mouvement de main, il les invita à s'asseoir.

- Que puis-je pour vous Inspectrice, Primum ?

- Il y a de cela une semaine, un ouvrier de Barowmerry Entreprise a été retrouvé mort dans un entrepôt désaffecté. Paupières et lèvres cousues, passé à tabac.

- Connaissez-vous un certain Martin King, père ? Demanda-t-elle d'une voix douce.

- En effet, un homme d'une ingéniosité étonnante malgré sa petitesse d'esprit. Si nous arrivons à fabriquer sa calèche volante, nos déplacements seront plus rapides. Nous pourrions aller plus loin et plus vite qu'avec des mécas. - Ses yeux brillèrent, il accompagna son discours de gestes emphatiques -. Je ne sais pas si vous vous rendez compte des nombreuses possibilités qu'un tel projet nous offre. Qui sait, peut être qu'un jour nous fabriquerons des oiseaux composés d'alliages et de propulseurs assez puissants pour voler d'un pays à un autre. Le but étant de réduire la durée de voyage et de permettre aux personnes de toutes classes sociales confondues de connaitre le monde.

Son souffle erratique traduisait son enthousiasme, sentiment visiblement non partagé par un certain Primum. 

- Attention à ne pas vous brûler les ailes comme Icare, ricana-t-il. Tout cela est fort intéressant, mais revenons à notre victime. L'avez-vous tué ?

- D'une certaine manière, oui, répondit Lord Richard.

Thémis serra les accoudoirs de son fauteuil, stupéfaite. Elle ne voulait, non, ne pouvait croire à une telle aberration. Face à elle, le visage de son père ne traduisait aucuns remords. Avait-il dit vrai ?

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Parlons de choses joyeuses : IL NEIGE ! Doux flocons qui recouvrent le sol d'un manteau blanc, froideur hivernale qui rougit mes joues.

Je vous mets en lien une lettre destinée au Père Noël assez touchante, si l'envie d'y jeter un coup d'œil vous titille. 


Carpe Diem : Folies NocturnesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant