Chapitre 14-3 : Lassitude.

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Les lèvres ourlées d'un dédale de cicatrices bougeaient avec paresse, le Masque d'acier sifflotait un air faux mais avec cœur. Thémis n'eut pas le courage de le faire taire. Pour d'évidentes raisons, elle préférait voir l'empereur des vampires de bonne humeur, plutôt que d'assister à la réincarnation de Jack l'Eventreur. Heureusement que le caléchier les avait garés devant la demeure de Luaya. 

Ils pouvaient entendre le vent souffler sur les planches en bois décaties. Sous l'assaut, elles grinçaient telles des enfants à l'agonie. Les motifs de son isolement étaient méconnus par la population locale. Recluse au milieu des déchets, Luaya se nourrissait de l'aura de mysticisme qui effrayait les londoniens. Soudain, son bouclier protecteur fut absorbé par une puissance aux saveurs divines. Le contraste avec son dernier visiteur l'effraya. Ces journées commençaient à être un peu trop mouvementé pour sa carcasse décrépie.

- Je suis l'inspectrice Thémis de Barrow...

Luaya se mit à se mouvoir avec brusquerie, habitée par une force qu'elle n'avait plus ressentie depuis des lustres. Telle une marionnette, elle se laissa guider. Surprise par ce regain d'énergie, sa visiteuse ne poursuivit pas. Elle observa ses mouvements rapides.

Luaya contemplait une boussole. L'aiguille bougeait follement, cherchant un point cardinal précis. La devineresse prit son bâton recourbé, lisse de tous nœuds, et traça dans le morceau de ciel qu'on entrevoyait entre les tuiles, le périmètre sacré à l'intérieur duquel elle entrerait en relation avec les dieux. Elle fit de même au sol. Puis, elle souleva un drap sous lequel se cachait une cage. L'odeur infecte qui en émanait fit reculer le trio. L'augure aux cheveux de neige pénétra le templum en tenant un poulet par le cou. Son corps se débattait, les plumes volaient, ses caquètements désespérés fendaient l'air lugubre de cette fin d'après-midi. Elle l'attacha tant bien que mal, puis le coucha sur le pentacle. Le couteau sacré trancha la chair tendre de l'animal, précis et mortel le choc le tua sur le coup. 

Mais des spasmes continuaient à se propager dans l'être sacrifié. Loin d'être insensibles à ce spectacle, Desiderio et le Mikado sentaient la faim les tenailler. La vue de ce corps encore chaud appelait leurs instincts primaires. Le Masque d'acier regarda le liquide vital se répandre, et fut content d'avoir mis son costume bordeaux. Il avait l'impression de s'être roulée dans la flaque de sang et de sentir la croûte séchée hydrater sa peau de macchabée.

Luaya plongea la main et sortit les vésicules. Les pointes crépues de ses cheveux se teintèrent de rouge alors qu'elle se rapprochait pour les observer. Elle examina la taille, la couleur, la forme, ponctuant sa réflexion d'onomatopées. Sans crier gare, elle planta un bâton dans le poulet, le traversant de part et d'autre afin de le suspendre au-dessus des flammes. Pendant une fraction de secondes, ses visiteurs redoutèrent que les étincelles chaudes ne mettent le feu à cet antre fait de bois. Mais rien de ne se passa alors que les organes internes cuits étaient jetés dans le feu du foyer en offrande aux dieux. Et que la viande rôtie fut divisée entre les participants du rituel, désignés contre leur gré. 

Thémis laissa le silence se prolongé jusqu'à ce que l'impatience prenne le dessus. Ils n'étaient pas venus pour discuter autour d'un bon repas – dont le goût aurait été meilleur assaisonné d'un glaçage à la mûre –, mais pour découvrir la signification des arabesques scarifiées retrouvées sur le corps calciné du comte d'Englinton. Or, même ses compagnons semblaient avoir oubliés les raisons de leur venue, trop concentrés à contenter l'augure. Elle allait devoir prendre les choses en main.

- Je suis l'inspectrice Thémis de Barrow...

- Je sais qui vous êtes Milady, la coupa sèchement Luaya. Une fille de geisha devenue fille de bonne famille ne passe pas inaperçu. Malheureusement, je n'ai rien à vous dire que vous ne sachiez déjà.

Carpe Diem : Folies NocturnesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant