Chapitre 21 : Fusion.

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Desiderio pouvait se targuer de suivre le cheminement compliqué des pensées de Thémis dont le faciès expressif était, assurément, un plus. Il en profita pour se rapprocher d'elle et sentir la chaleur de son corps.  Puis il ancra son regard dans le sien et, à l'unisson, leurs battements de cœurs se firent frénétiques. Un véritable embrasement envahit leurs êtres.

Desiderio laissa son tigre prendre les commandes. Ses pupilles se transformèrent en deux épingles, fines et verticales. L'or de ses yeux recouvrit la blancheur du globe oculaire.Osera-t-il refaire la même erreur, au risque de s'imprégner de sa délicieuse odeur alors que le maître l'attendait de pied ferme ?

 Sans qu'il ne s'y attende, Thémis l'inclina vers elle et l'embrassa. A l'instant où ses lèvres touchèrent les siennes, ils oublièrent la belle au bois dormant à quelques centimètres d'eux.

Ils oublièrent que seuls les gens mariés avaient le droit de s'embrasser en public.

Ils oublièrent la mort qui se riait d'eux...

Ils fermèrent les yeux et se laissèrent emporter par ce feu d'artifices.

Desiderio ronronna sous l'assaut de sensations. La passion de ce baiser le désarma. Les fines mains de Thémis parcoururent son torse musclé, puis descendirent jusqu'à ses hanches. Elle les agrippa, dominatrice, le collant à elle. 

Étouffant un feulement sourd, il glissa un bras autour de sa taille tandis que l'autre se saisissait de sa nuque pour la plier à ses exigences. Du bout de la langue, il titilla sa lèvre supérieure. Avec un gémissement, elle entrouvrit les lèvres, se livrant entièrement. Il prit immédiatement possession de sa bouche en un baiser affamé. Ils n'avaient jamais connu de sensation aussi grisante, aussi addictive... Il aurait pu l'embrasser des heures s'en se lasser. Le temps s'était arrêté, seul l'instant l'importait.

Ne pouvant plus supporter la souffrance de ses crocs, Desiderio traça un sentier humide le long du cou de la jeune femme, sa langue lécha cet endroit où la fragrance était la plus forte. Sans prévenir, il mordit. Fort. La fine peau craqua sous la pression exercée par ses crocs. Une décharge électrique les parcourut. Haletante, grisée, Thémis ne réagit pas. Douleur et plaisir se mêlaient, la plongeant dans une passion encore inexplorée. 

Le métamorphe dégusta le sang de la jeune femme, geignant sous la pureté de ses gènes. Exquis ! Il comprenait maintenant pourquoi Caïn convoitait son sang. Ce dernier était délicieux : velouté, au goût de violette, il descendait dans sa gorge avec une facilité déconcertante et lui transmettait une énergie nouvelle. 

La sensation pénible d'avoir des crocs plantés dans son cou, fit réagir Thémis. Lorsqu'elle commença à se débattre, il la relâcha. Il recueillit le liquide rouge qui tachait son cou de cygne jusqu'à ce qu'il disparaisse. Desiderio se recula, contemplant son œuvre : nette et rosâtre, la morsure était magnifique à voir. 

Il se sentit exalté. Ils étaient liés par les dieux pour l'éternité ! Thémis était définitivement à lui ! A lui seul !  Sa femme, sa compagne, sa moitié... plus personne ne pouvait les séparer sans se confronter à la fureur d'un Primum. 

Sa bouche revint sur la chaleur de ses lèvres, lui transmettant la volupté qui l'assiégeait. Ils se séparèrent le souffle court mais leurs âmes repues.

Desiderio appréciait le tableau qu'elle lui offrait : paupières fermées, les cheveux ébouriffés comme si elle venait de se réveiller, lèvres offertes... il n'avait rien vu de plus enchanteur. Elle cligna des yeux, jusqu'à ce que le voile de désir qui recouvrait sa vue se lève. Son sourire fit naître des frissons en lui.

— Épouse-moi !

C'était sorti tout seul. Desiderio voulut réitérer sa demande mais à quoi bon ? Sa question impulsive ne s'effacerait pas si facilement. Et puis, les femmes aimaient l'impulsivité car elle était synonyme d'honnêteté. Son regard d'obsidienne brilla de mille feux, son sourire s'agrandit, lui mangeant le visage. Il resta coi, suspendu entre l'espoir et la crainte de ce qui allait suivre.

— Pourquoi pas.

Il la regarda, les yeux ronds.

— Pourquoi pas, croassa Desiderio.

Elle eut la bonne idée de rougir.

— Je veux dire, oui, oui ! cria Thémis en sautant dans ses bras.

Ivres de bonheur, leurs lèvres entrèrent en contact en un tendre baiser.

Cependant, ces quelques secondes de bonheur furent de courte durée. Dans un carillonnement que lui seul pouvait entendre, la laisse du duc le rappela à l'ordre. Il grimaça lorsque Caïn tira plus fort sur son âme. Le maître quémandait sa présence sur le champ. 

Il reposa Thémis au sol et réajusta sa veste. Non que ça serve à grand-chose mais reprendre des gestes quotidiens l'aidait à se calmer.

— Que se passe-t-il ?

— Rien amor. Quelqu'un m'attend et le faire poireauter est une très mauvaise idée.

Avant qu'il ne quitte la chambre, son pouce caressa une dernière fois la courbe de ses lèvres et il lui fit un clin d'oeil complice. Un doute picota sa conscience. Allait-il rejoindre sa maîtresse ? La baronne Rostchild ? Puis elle l'écarta. Il l'avait marqué, les liants comme deux époux aux yeux des surnaturels. Ils étaient maintenant insensibles au contact des autres, ne pouvant trouver du réconfort que dans les bras de leur partenaire. Thémis espérait que Roy approuverait cette union mais aussi le commissaire Bensti, elle ne voulait pas perdre son travail.

On se racla la gorge, la sortant de sa torpeur. Lentement, la jeune femme se retourna. Lady Julia était réveillée, sagement assise contre une pile de coussins, un petit sourire malicieux peint sur le visage. Telle une enfant prise en train de manger des sucreries malgré l'interdiction, Thémis ferma les paupières et baissa la tête. Mais en la relevant, sa mère se trouvait toujours là. Sa main l'invita à s'asseoir près d'elle.

 La honte, cette honte cuisante d'avoir été prise sur le fait, chauffait son épiderme. Prenant une profonde inspiration, Thémis décida qu'un petit remontant s'imposait. Elle fit sonner la clochette, commanda de quoi les restaurer puis retourna à son fauteuil. La matriarche paraissait être de bonne humeur, seule la fissure qui fendait ses iris bleus comme un ciel d'été, témoignait du miracle dont elle fut victime. Dans le silence incommodant, la porte s'ouvrit pour laisser enfin entrer le thé, les gâteaux et le sherry. Une fois la domestique partit, lady Julia prit la parole.

— La plupart des individus disent que le scone fait grossir, qu'il ne faut pas trop en manger, surtout si on les fourre de la délicieuse crème vanillée d'Anita.

Ses doigts naviguaient sur le plateau qu'on venait de déposer. Il est vrai que les pâtisseries de leur cuisinière étaient réputées. Et bien souvent, les Barowmerry se voyaient submergés de visites à l'heure du thé.

— Mais parfois, je fais la sourde oreille et me dis « au diable, Londres ! ».

Thémis s'étrangla avec son green tea. Tout compte fait, peut-être que sa mère n'allait pas si bien que ça....

— Si j'ai envie d'un scone pour accompagner ma tasse de thé, je prends ce maudit scone et je le mange. Même si cela va en contre de l'opinion général !

Accompagnant le geste à la parole, elle croqua dedans. La crème coula sur ses doigts, la confiture de framboise qui accompagnait, salit son menton. Mi- dégoutée, mi- amusée, Thémis lui tendit une serviette qu'elle s'empressa de prendre.

— Mais soyons franc, as-tu déjà entendu quelqu'un résister à nos scones ma chérie ?

La jeune femme contempla son aînée les sourcils froncés. Qu'est-ce que ce charabia voulait dire ? Revenir lui avait-elle fait perdre la tête ? Face à l'expression perdue de sa fille adoptive, lady Julia soupira.

— Je n'ai jamais été forte en métaphores culinaires, murmura-t-elle. Chérie, si tu penses qu'il est le bon, fonce ! Ne laisse personne vous séparer, ni les conventions sociales ni la jalousie des autres ! Si je les avais écoutés, tu serais en train de te prostituer au Japon voire morte ! Le vent tourne, accepter d'être la femme d'un prince te garantira la sécurité.

Elle se pencha un peu plus vers Thémis, lui parlant avec douceur.

— Et puis ceci, indiqua Julia en montrant la morsure, ne peut être défait. Elle est la preuve évidente que vous avez été conçu par Dieu pour ne former qu'un. 

Réflexion faite, peut-être qu'elle allait suivre l'exemple de sa mère et prendre un scone... 

Carpe Diem : Folies NocturnesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant