Carpe Diem : Folies Nocturnes

Chapitre 23 : Et il l'entraîna dans l'obscurité.

Une fois sa mère rendormie et après avoir conversé avec son frère sur une demande en mariage qui n'avait pas surpris Roy plus que ça ; Thémis était montée se coucher. La journée avait été épuisante tant physiquement que moralement. Avec l'aide des domestiques et de quelques Londoniens bienveillants qui leur avaient fourni planches en bois, chaînes et assistance ; la maison de ville des Barowmerry fut sécurisée en un temps-record. Ils vidèrent le salon et distribuèrent les meubles dans les pièces avoisinantes, puis ils barricadèrent la porte du salon et de la bibliothèque. Les chaines s'enroulèrent autour des poignées de portes, annonçant la fin de la journée. Aussi, ils allèrent dormir.

Tout était silencieux : la maison était plongée dans une paisible torpeur. Seul le faible vrombissement des sphères faisant le tour du quartier résonnait. Mais voilà que celles qui devaient maintenir la sécurité des citoyens, ne virent pas l'homme monter la canalisation. D'une main experte et silencieuse, il ouvrit la fenêtre du deuxième étage et se faufila à l'intérieur. La chambre à l'ameublement spartiate, était plongée dans le noir complet. Toutefois, il n'éprouva aucune difficulté à trouver le lit où reposait la jeune femme. A pas de velours, il s'approcha de sa proie.

Ereintée par sa journée, Thémis dormait profondément. Couchée sur le ventre, ses cheveux étaient répandus sur l'oreiller. Ces longs cils sombres projetaient leur ombre sur sa joue de nacre. De sa bouche entrouverte s'écoulait un filet de bave, auréolant le drap sous elle. Caïn la trouvait d'une naïveté adorable. Thémis n'avait aucunement conscience de sa petite visite nocturne, ni de ce que l'avenir lui réservait.

Délicatement, il effleura le cou de la belle endormie. Son pouls pulsait avec force et régularité. Ne voulant la quitter tout de suite pour s'occuper d'un problème autrement plus grave du doux nom de Lilith l'emmerdeuse, Caïn s'allongea à ses côtés. Il se rapprocha de Thémis jusqu'à ce qu'il puisse sentir la chaleur de son corps et son souffle sur sa joue. Elle ne tiqua pas face à cette proximité, bercée par Morphée. Et il resta là, à l'observer longuement.

Les secondes puis les minutes s'égrainèrent, en symbiose avec le balancier pendulaire, maintenant située dans le hall d'entrée. Le carillon sonna deux heures du matin. Les lèvres pleines du Premier Vampire se posèrent alors avec adoration sur celles de la jeune femme avant de partir comme il était venu. Le mécanisme se mit en marche. Amer et mélancolique, le cauchemar la happa sans pitié.

Elle avançait au bras de son père dans l'allée bordée de fleurs, des étoiles plein les yeux. Les invités se retournaient sur son passage, ébahi par sa prestance. Elle progressait à petits pas, sans se presser, alors que la marche nuptiale retentissait dans l'église. Ses cheveux étaient savamment relevés afin de retenir le voile qui recouvrait son visage.

Sa robe - indécente selon les douanières, écœurante de modernité pour d'autres -, allait lui conférer le titre de « plus belle mariée de l'année » dans le Times. Découpée dans un fourreau blanc s'évasant vers le bas, un drapé en dentelle recouvrait ses épaules et cascadait jusqu'à ses genoux. Une ceinture en pierre de lune mettait en valeur sa fine taille. Des pendentifs en diamants et des gants en soie compétaient l'ensemble.

Près de l'autel, son mari la dévorait du regard. Ces iris mordorées étincelaient de joie et d'impatience. Lord Richard déposa la main de sa fille dans celle du métamorphe : « je te la confie, à toi d'en prendre soin maintenant » disait son geste. Un hochement de tête de Desiderio rassura le père. Ce fut d'une voix tremblante qu'ils énoncèrent leur vœu puis, sous les vivats de la foule, ils sortirent de l'église en tant que mari et femme.

Le ciel était d'un bleu limpide, le soleil les couvait de ses rayons lumineux, les oiseaux chantaient, les pétales de rose pleuvaient sur eux. Sous le porche, Desiderio attrapa la taille de Thémis, la pencha en arrière et l'embrassa. Plus d'une soupira devant cet acte romantique. Personne ne pouvait nier l'amour qui les unissait, même pas les mauvaises langues qui soupçonnaient une tout autre raison pour des fiançailles si courtes.

Mais le bonheur ne dure jamais bien longtemps. Le chaos déferle telle une tornade dévastatrice, transformant tout sur son passage et ne laissant derrière lui que mort et désolation. La jeune inspectrice aurait dû se tenir éloigner de l'interdit. Mais les attraits de l'inconnu et les désirs de l'âme sont difficiles à ignorer. Ainsi, depuis le royaume des anges, Dieu soupira d'un air las. Comment aider son prochain quand notre cœur a été déçu et bafoué ? Comment l'aider lorsqu'on n'arrive pas à se pardonner soi-même ? L'Eternel tourna le dos à l'agent du Bien. Il ne pouvait pas. Non ! Il ne voulait pas voir ce qui allait suivre. La blessure que son petit-fils lui avait infligé saignait encore, malgré les siècles écoulés. A vif, cette cicatrice l'empêchait de prendre la bonne décision. Le Seigneur abandonna Thémis à son sort.

Un cri déchira l'air. Dépourvue d'appui, la mariée tomba au sol, sa tête cogna durement contre les marches de l'église. Momentanément sonnée, sa vue était floue. Cependant, les enjambées précipitées des invités, désireux de partir loin, très loin du spectacle se déroulant sous ses yeux ; l'empêcha de s'évanouir. Avec un grognement de douleur, elle se releva.

Desiderio se trouvait à quelques centimètres d'elle, incapable de bouger, incapable de se transformer. Au-dessus de lui, un vampire aux longues canines déchirait son cou, s'abreuvait directement à la source. Ses doigts pâles aux ongles pointues s'acharnaient sur le torse du métamorphe comme s'il n'était qu'une simple motte de beurre. D'affreux râles s'échappaient de sa victime dont le regard se fit vitreux. L'étincelle de vie, pleine de malice et d'arrogance de son mari, n'était plus.

Thémis sentit l'horreur s'inscrire sur son visage. Non ! Non ! Par pitié ! Ils venaient de se marier ! Mue par une rage froide, elle se jeta sur l'assaillant. Elle réussit à le renverser sur le dos et à l'assommer de coups de poing. Mais ça ne parut rien lui faire. Il éclata de rire face à sa force ridiculement humaine. Elle lui administra deux gifles avant qu'il ne la projette loin de lui.

Puis, tout comme il l'avait fait avec Desiderio, le vampire la maintint immobile, les bras de chaque côté de la tête. Elle se battait avec hargne, les dents serrées afin de retenir les insultes qui débordaient de ses lèvres. Il paraissait seulement amusé par ses efforts, comme si elle était un vulgaire fétu de paille.

- Sa Majesté des fourrures est malheureusement indisponible, ma jolie. Ne t'inquiète pas, je suis là. Une goutte de ton sang et on profitera de l'immortalité pour découvrir le monde. Pour nous découvrir l'un, l'autre.

Sa voix soyeuse aux relents âcres lui donna envie de vomir.

- Qui êtes-vous ? Lâchez-moi, espèce de malade ! cracha Thémis, verte de rage. Je ne suis pas une marionnette ! Je ne transmettrai mon don qu'à l'homme que j'aime ! Et ce n'est pas vous !

- Ah...l'amour, roucoula le vampire. Tu pourrais aussi en éprouver pour moi tu sais.

Un rire incrédule lui répondit. Il se pencha jusqu'à ce que sa bouche frôle l'oreille de la jeune femme.

- Je m'appelle Caïn, fils d'Adam et Eve, petit-fils de Dieu, Père des vampires. Et toi, tu seras ma compagne ! Ma source de pouvoir et protection ! Ainsi j'en ai décidé le jour où tu es née.

- Hors de question ! J'appartiens à Desiderio !

- Oh ! Tu parles de l'homme mort derrière moi ?

- Espèce d'enflure, lui balança Thémis alors que ses yeux s'humidifiaient. Au risque de me répéter, jamais je ne serais votre !

- C'est ce qu'on verra, ma jolie.

En plongeant son regard de jade dans le sien, ses pupilles se dilatèrent. Hypnotiser une guérisseuse de cet acabit s'avérait difficile mais Caïn ne doutait pas de sa réussite. La sueur coulait de son front, son corps entier tremblait sous l'effort, puis, il murmura :

- Pour l'heure, oublies tout. Lorsque je t'appellerai, tu accourras vers moi. Ton Maître véritable !

L'obscurité l'engloutit.