Carpe Diem : Folies Nocturnes

Chapitre 22 : Rendez-vous avec le Diable.

Sur le balcon de la suite la plus somptueuse d'un hôtel particulier de Londres, trois hommes contemplaient le coucher de soleil. Il teignait le ciel d'un rose poudré tournant au lilas tendre, puis évoluant en un rouge incandescent. 

Si le plus jeune des trois avait un sourire extasié peint sur le visage, les deux autres faisaient preuve de retenue. Toutefois, on sentait dans l'air la satisfaction d'une mission accomplie en bonne et due forme.

— Elle n'est encore qu'une enfant, mais sa puissance est extraordinaire. A mes côtés, elle ne sera que plus forte. Je peux sentir d'ici son exquis parfum.

Caïn inspira à pleins poumons la candeur crépusculaire. Ses cheveux mi-longs, dépourvus de catogan, voletaient sous la caresse de la brise nocturne. Son aspect de fils de bonne famille et son sourire charmeur incitaient à la confiance. Un léger froncement de sourcil froissa son intense satisfaction et fit tilter Desiderio. Ce dernier se tint immobile, osant à peine respirer. Mais son Maître ne dit rien, alors il se détendit. 

— Et Lilith ? questionna le Mikado.

D'un geste gracieux de la main, Caïn balaya l'air comme pour dire : « Elle n'est rien, un grain de poussière dans l'espace-temps de mon existence. Voilà tout ». Son regard, habituellement vide d'émotions, luisait d'un éclat malsain. Caïn sentait les ténèbres recouvrir le monde de son manteau poisseux et les ombres s'avancer dans la lumière.

— Elle est certes moins puissante que vous, mais nous connaissons sa jalousie à votre égard, insista le Masque d'Acier. Elle ne vous laissera pas vous échapper de ses griffes sans pallier les conséquences. Surtout pour rejoindre une missionnaire du Bien qui vous rendra imperméable à la Mort en personne. Lilith ne supportera pas de se trouver si loin de vous et du pouvoir. Il faut réagir sur le champ !

Conscient qu'il était allé trop loin, il se tue. Sa bouche, auréolée de cicatrices, se ferma en un « pop » comique. Des sueurs froides coulèrent le long de son dos. Mais encore une fois, le vampire originel ne le reprit pas.

— Eve et Adam sont mes parents Mikado, Lilith est uniquement celle qui m'a transformé. Il y a longtemps que je ne suis plus son jouet. Vous en êtes la preuve même : je suis le seul et l'unique créateur de la race des vampires ! Je t'ai sauvé d'une vie en Enfer, toi qui te baladais sur le fleuve du Styx, croyant pouvoir échapper aux démons des alentours.

Sur ces paroles douloureuses, Caïn tourna son regard vers le Primum. Ce dernier eut l'impression qu'il scannait les tréfonds de son âme. C'était dérangeant. Il violait son esprit, son être : lui. Alors qu'il forçait le barrage protégeant ses secrets, Desiderio se débattit de toutes ses forces. Essayant d'échapper, sans succès, à cette présence indésirable. Il ne lui vint pas l'idée que s'agiter ainsi ne faisaient que renforcer les soupçons qui pesaient sur lui.

Il voulut protester mais ses lèvres étaient incapables de remuer. Paralysé, il ne put qu'être témoin de sa mise à mort. Les dernières vingt-quatre heures défilèrent sous ses paupières humides. Un souvenir, chargé d'émotion et plus net que les autres, s'imposa aux autres : Thémis et lui s'embrassaient fiévreusement. Puis il vit la morsure qu'il lui avait fait, symbole de leur union éternel. Une boule au fond de sa gorge, Desiderio retint ses larmes. Ainsi finissait sa vie....

— Ouvre les yeux Rio, lui intima Caïn d'un ton paternel. Je ne t'en veux pas. Je ne connais pas Miss Barowmerry personnellement, mais les rumeurs qui circulent sur elle et la pureté de son énergie suffisent à me séduire. La côtoyer doit être dur pour toi. D'autant plus que ton tigre te pousse à te lier à elle. Ce que tu as fait, remarqua-t-il en exerçant une pression assez forte sur son épaule pour la déboiter.

Desiderio grimaça sous la douleur. Caïn avait toujours été moins clément avec lui, comme s'il considérait les métamorphes inférieurs aux suceurs de sang. Il est vrai que leur origine divine était un bonus qu'on ne pouvait nier. Toutefois, être considéré comme un simple esclave ne lui plaisait pas. Un coup dur pour son orgueil et son inébranlable loyauté. Jusqu'à maintenant. Se rebeller était une option qu'il envisageait depuis un petit moment déjà.

— Je ne doute pas de ta fidélité envers notre cause malgré ce...désagrément. Cependant, tu comprendras mes réticences à te laisser te déplacer à ta guise. Je ne suis pas sot. Ton animal te poussera à prendre soin de ta femelle, coûte que coûte. Quitte à sacrifier celui qui t'a accueilli les bras grands ouverts.

— Je....Maître...je ne...

Desiderio ne continua pas, il ne servait à rien de mentir. Il aurait voulu se rebeller, crier haut et fort sa neutralité. Néanmoins, sentir les crocs pointus de Caïn à quelques millimètres de son cou suffit à apaiser sa fougue. Alors il serra les poings et suivit les ordres.

— Quand je te le dirais, tu la ramèneras à moi. Pour ce faire, tu t'allieras à Lord Richard et à son fils. Est-ce clair ?

Il acquiesça, honteux. Derrière, le Mikado regardait la scène d'un œil indifférent. Pour lui, c'était clair : s'il ne pouvait avoir Catherine, Rio ne connaîtrait jamais la félicité. Après tout, les amis devaient se soutenir dans le malheur.