Chapitre 9 - Le nouvel étage

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Cette nuit, des silhouettes sombres aux mouvements artificiels ont peuplé mes rêves. Des créatures clinquantes et crissantes qui grandissent sous terre et n'attendent qu'un signal pour sortir et nous dévorer. Cette... Deuxième Monnaie, m'atteint plus que je ne le pensais.

A vrai dire, l'angoisse de la veille n'a même pas eu le temps de redescendre que je pars ce matin pour être promu ! Ma molette d'éperon héraldique, sorte de fleur ou d'étoile à six branches dorée, va se voir attribuer une jumelle et j'ai l'impression d'être un peu dépassé par les événements. Apprendre le manuel du parfait petit hackeur et monter de grade dans l'armée, le tout en deux jours, c'est un peu trop rapide et paradoxal pour mon esprit adepte de longues réflexions. Heureusement, il me reste mes trajets en bus pendant lesquels je peux m'évader en écoutant la Sonate au Clair de Lune de Beethoven sans me faire enrôler dans un orchestre qui me demanderait soudain d'être leur nouveau soliste de flûte traversière sans que je n'en ai jamais fait auparavant. En bref, je suis tranquille, dans mon monde.

Je vois les immeubles se succéder sans que cela ne fasse aucun sens. Seule m'atteint la mélodie mélancolique du morceau qui me transporte en pleine nuit sur un lac aux eaux calmes, dans une petite barque. Puis s'ensuit le mouvement plus joyeux, contrastant avec la grisaille qui envahit le ciel pour finir avec cette merveilleuse envolée qui rend ce morceau magique. Les dernières notes s'égrènent quand le bus s'arrête, timing parfait. En sortant, je resserre ma veste autour de mes épaules, mordu par le froid et l'humidité. Malgré ce temps détestable, je suis bien plus détendu qu'à mon départ et je pense pouvoir affronter cette journée et mes responsabilités.

Aujourd'hui, je ne sors pas de l'ascenseur au deuxième étage mais au quatrième, pour rejoindre le bureau de mon cher capitaine.
« Comment allez-vous Barthelemy ? s'enquiert mon supérieur après les salutation d'usage.
— Plutôt stressé, je lui avoue. »
Je suis encore plus sidéré par sa bienveillance en l'ayant connu dans le Zéphyr. Pourquoi ai-je l'impression que le vieux barbu à la voix grave est plus doux dans sa tenue de militaire que dans son costume de personnage de bande dessiné ? Peut-être est-il moins sous pression... Je n'ai cependant pas le temps de me poser plus de questions que la lieutenante Ropartz arrive, rapidement suivie des lieutenants Montbel et Delestrade.
« Bien, maintenant que la compagnie est au complet, je peux remettre à notre nouveau lieutenant Barthélémy son deuxième galon. »
Chevalier se lève avec solennité et sort d'un écrin la petite étoile rutilante qui va symboliser mon grade. Puis il vient l'accrocher à ma veste pendant que je me tiens au garde à vous. J'avoue ressentir une grande fierté à la vue de ce nouvel insigne. Je remercie intérieurement ma mère de m'avoir envoyé à Charlemagne, me promettant de réitérer ce remerciement dans deux semaines, au déjeuner.
« Je compte maintenant sur vous pour le mener au huitième étage et le guider dans ses nouvelles fonctions, ordonne-t-il à mes camarades. »
Puis, il nous fait un rapide bilan de la semaine passée et des actions à entreprendre avant de nous congédier.
« Bienvenue chez les lieutenants ! me félicite Montbel alors son visage d'habitude sévère s'éclaire d'un sourire sincère. »
Je le remercie puis nous nous dirigeons rapidement vers l'ascenseur pour grimper jusqu'au dernier étage, celui qui vient juste d'être construit. Il faut avouer que les tours façon lego que nos architectes dessinent maintenant sont bien pratiques. Plus besoin d'un nouvel immeuble pour s'agrandir, une simple extension en hauteur suffit. Heureusement, quand on voit les grattes ciels qui poussent maintenant jusque dans les villages au style moyenâgeux.

Les portes s'ouvrent devant nous et je découvre un open space aussi vaste que celui des sous-lieutenants mais plus luxueux, moins compressé. Le sol n'est pas un linoléum de couleur fade mais un parquet de plastique simulacre coquet de bois sombre et vieilli. Alors qu'il faut serrer le ventre et se mettre de côté pour passer entre les bureaux de l'étage inférieur, ceux de celui-ci sont regroupés longues tables de bois simple. Si l'on doit partager son poste de travail avec ses voisins, il nous reste toujours plus d'espace. Les fauteuils de bureaux à roulettes premier prix remplacent les chaises droites et je comprends que le salaire n'est pas la seule carotte utilisée pour pousser les stratèges à se dépasser : le confort y est pour beaucoup.
« Nous avons aussi été migrés à cet étage pour que toute la compagnie puisse être ensemble et communiquer plus facilement, m'explique Ropartz, toujours un peu supérieure, sûrement pas habituée à me voir comme un égal.
— Où sont les autres ?
— Ils devraient arriver bientôt, m'annonce-t-elle avec son léger accent germanique. Deux viennent du troisième étage et sont aussi accompagnés des autres lieutenants de leur compagnie. Six autres devraient arriver d'autres tours dans l'après-midi, le temps que leur ancien capitaine leur donne les derniers ordres et conseils avant qu'ils ne viennent rencontrer leur nouveau ici.
— Des lieutenants ont monté de grade ?
— Non, mais comme nos équipes sont performantes, l'État a décidé de les renforcer, d'où cet étage d'ailleurs. »
Je hoche la tête, mes yeux maintenant attirés par les tours d'ordinateurs, luisantes de propreté et de nouveauté. Voilà une amélioration qui mêle l'utile à l'agréable.

Genève 8 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant