Chapitre 16 - Dans la gueule du loup

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C'est le jour fatidique. Les trois semaines de préparation prévues sont largement dépassées et notre capitaine trépigne d'impatience. Comme lui, j'ai pris mon lundi en jour de repos et ce matin, avant de partir, j'ai mis une triple portion de croquettes à mes chats.

Je suis maintenant dans la voiture d'Eliott en compagnie d'Haddock, de Kylian et d'Emilie en direction du camp militaire de Canjuers. Il n'est que dix heures du matin mais les huit heures de route pour rejoindre Montferrat dans le Var nous obligent à partir tôt. Pendant la première heure, le conducteur nous parle de son père, astronome et de sa mère, neurologue, comme pour se justifier de posséder son propre véhicule. C'est vrai que ce produit qui s'était démocratisé pendant le siècle dernier s'est raréfié quand l'essence a disparu pour faire place à l'électricité. C'est d'ailleurs sa spécialité puisqu'il s'est rabattu sur le métier d'électricien, impressionné par les études qu'il aurait fallu faire pour atteindre son rêve d'ingénieur. Une fois qu'Eliott a fini de nous décrire le curriculum vitae de ses géniteurs, un drôle de silence s'installe.

A ma droite sur la banquette arrière l'avocette gigote. Comme nous tous, elle ne semble pas sereine à l'idée de voir de ses propres yeux ce qui pourrait devenir sa prison. La voir s'agiter me stresse plus qu'autre chose alors je tourne mon regard vers la vitre.

De grandes serres agricoles s'étendent à perte de vue. Au détour d'un virage, la silhouette d'une centrale nucléaire se dessine. Les six réacteurs sont coiffés d'un nuage blanc de vapeur d'eau et sont entourés d'une couronne d'éoliennes. Les paysages se succèdent, des usines mises sous cloches pour retenir la pollution aux forêts artificielles en passant par les nombreuses réserves d'animaux plus ou moins exotiques en voie d'extinction. Nous traversons aussi de nombreuses villes dont les rues bien droites et les immeubles dont on en voit pas le sommet n'ont plus rien de naturel.

Lorsque le soleil est à son zénith, nous nous arrêtons sur une aire d'autoroute. Après trois heures à rester assis, se dégourdir les jambes est une sensation très agréable. Soudain, un coup d'œil à mes compagnons de route m'interpelle : Eliott tient dans sa main celle d'Emilie. La proximité troublante que j'avais remarquée lors de ma rencontre avec le jeune tireur avait fait naître des doutes qui se confirment. J'avoue que voir la quarantenaire sur ses talons hauts marcher aux côtés du jeune Eliott qui ne me dépasse même pas est déroutant.
« Je ne comprends pas ce qu'il lui trouve, me glisse Kylian en suivant mon regard. Elle a beau être excellente au tir, elle n'est pas la femme idéale. Sèche, plus âgée que lui de quinze ans et surtout mariée... »

Je grimace devant cette description peu avantageuse d'Emilie. Malgré sa pédagogie au raz des pâquerettes, je la respecte et je suis déçu de la découvrir infidèle : je la pensais plus loyale. L'espace d'un court instant, je l'imagine nous trahir comme son époux. Je me tends à l'idée de passer devant son regard de braise pour me rendre dans une minuscule cellule grisâtre. Mon imagination dérive vers les plus terribles scénarios quand je me remémore notre discussion de la semaine précédente : elle me fait confiance, cela doit être réciproque si je veux que notre mission réussisse. La promesse d'un sandwich chasse mes derniers doutes car, n'ayant quasiment rien pu avaler ce matin, mon estomac gronde plus fort que ne turbine mon esprit.

Les ombres s'allongent sur le bitume quand la petite bourgade de Montferrat se dessine enfin à l'horizon. Nos langues ne se sont presque pas déliées de l'après-midi et le temps commence à paraître bien long. Le village trône fièrement sur le versant d'une colline verdoyante et je suis subjugué par l'aspect naturel du lieu. Nous passons sur un pont avant de traverser le bourg, tendus à l'extrême. Cela est stupide car personne ne remarquera particulièrement notre présence ou ne notera notre plaque d'immatriculation mais l'approche du camp rend l'expédition plus réelle. Après avoir continué notre route au milieu des garrigues poussant sur la roche calcaire du lieu, j'aperçois dans en contrebas les taches blanches des vieux hangars dans lesquels se garaient les tanks et qui sont maintenant reconvertis. C'est dans l'un d'eux que nous allons pénétrer, enfin Emilie seulement. Je vois même une grande pancarte qui doit annoncer l'entrée du camp mais Eliott bifurque soudainement pour se garer bien plus loin, là où l'on ne peut même plus deviner les barrières qui entourent l'endroit. Nous approchons de notre cible...
« Il y a des caméras partout, explique le jeune homme, on ne peut pas se permettre d'emmener la voiture jusque là-bas. »
Je savais que nous aurions à marcher un peu mais il va nous falloir une sacrée trotte pour y arriver ! Le ciel se teinte maintenant de rose et il est justement temps pour nous de se mettre en chemin.

Genève 8 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant