Chapitre 18 - Un nouveau venu

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Deux semaines se sont écoulées depuis le débriefing. J'aurais dû être heureux de savoir que le monde entier ne viole pas toutes les lois fondamentales de la robotique. Après tout nous ne serons pas assassinés par des tas de ferraille. Pourtant, l'idée même d'animaux génétiquement modifiés enfermés toute la journée devant un écran et électrisés à chaque pas de travers me glace le sang. J'imagine déjà les bébés chimpanzés, si proches de nouveau-nés, grandir, se métamorphoser. Je n'ai vu qu'une image floue mais leur future difformité et leur souffrance quotidienne me paraît bien réelle... Cela me perturbe jusque dans mon travail car je sais maintenant que je donne des ordres à des êtres-vivants, qui même s'ils m'obéissent au pied de la lettre, se feront peut-être torturer à la moindre initiative malencontreuse. Et ce genre de décision, ils doivent en prendre chaque minute, presque chaque seconde. Pour ne rien arranger, j'ai de plus en plus de mal à donner le change face à mes collègues. Ils me voient me renfermer et Ludovic commence à me poser des questions. Je ne lui ai répondu que de manière évasive, invoquant un séjour à l'hôpital de ma mère. Devant ce mensonge, il n'a pas osé insister. Tous les autres sont pleinement convaincus que je me suis fait rejeté par Océane. Seule Elely m'accorde des sourires compatissants et ne participe pas à ces suppositions plus gênantes que vraies.

Le repas en famille de dimanche dernier m'a permis de m'évader un peu. Mon obsession nouvelle pour les primates n'a cependant pas quitté mon esprit et j'ai difficilement camouflé mon inquiétude constante. Même mes médicaments peinent à pallier mes angoisses. Je crois que je vais augmenter la dose. J'ai cependant profité de mon aller-retour express à Giverny pour voir Hugo. J'ai hésité à lui parler de mes tourments mais j'ai renoncé, préférant jouer la carte de la prudence. Un jour, je lui en parlerai, c'est sûr. D'autant qu'en grand protecteur des animaux et végétarien qu'il est, il se rallierait sûrement à notre cause.

Finalement, alors que le grand air m'a toujours rassuré, je suis heureux de retrouver les souterrains aux néons bleus. C'est ici que je me sens le plus libre...
« Ça fait des semaines que vous me testez : menant vous allez peut-être pouvoir me dire quoi ! »
La voix enjouée teintée d'un drôle d'accent m'est inconnue et je suis curieux de découvrir le nouveau membre qui nous rejoint apparemment aujourd'hui. J'avance dans le couloir et, derrière la stature du capitaine, se dessine un homme habillé dans un costume élégant. En contraste, ses cheveux blonds se dressent sans logique apparente au-dessus d'un visage rond. Je m'approche un peu plus, attiré par le sourire qui éclaire le couloir plus que ne le font les néons.
« A vrai dire, tu n'arrives pas vraiment le bon jour, un de nos tireurs est absent pour vacances et l'un des deux autres s'est levé du pied gauche. »
Une impression de déjà-vu m'envahit et je ressens tout de suite de la sympathie pour ce jeune qui ne doit même pas avoir la vingtaine. Être catapulté dans notre monde à son âge doit être déstabilisant mais il semble à l'aise.
« Tiens Enaël ! m'interpelle Haddock. Voudrais-tu présenter Gaspard à Spirou et Fantasio s'il-te-plaît ? Romain m'attend pour un bilan du début de la semaine. Attention, Astérix n'est pas de bonne humeur ! »

J'accepte sans rechigner, plutôt heureux de pouvoir faire connaissance avec ce Gaspard. En plus, je viens de comprendre que les inflexions curieuses de sa voix sont en fait belges. J'ai toujours aimé ce pays et j'ai donc hâte de faire la connaissance du nouveau ! Quant à Eliott, je sais qu'il ne m'agressera pas. Je regarde donc Haddock s'éloigner sans crainte.
« Bienvenue dans le Zéphyr ! déclamé-je au novice. Alors comme ça, tu es a été affecté au tir ?
— Disons que c'est ce que je pense savoir faire le mieux. Et puis apparemment, on avait besoin de moi là-bas. Tu en es aussi ? »
Je secoue la tête et lui explique mon rôle en quelques mots. Il acquiesce visiblement intéressé et je suis fier d'avoir enfin un rôle de précepteur.

Puis, pour éviter une remontrance de notre chef, je décide d'emmener notre nouveau camarade dans la salle obscure. Je ne fais que quelques pas avant de m'arrêter, interpellé par un bruit suspect. C'est une sorte de chuintement discret mais parfaitement audible. Cependant, alors que je me retourne pour en découvrir la source, le son cesse. Gaspard ne semble pas avoir remarqué quoi que ce soit mais je vois son regard s'illuminer :
« Ce n'est rien ! s'exclame-t-il. Ce que tu entends, c'est ma prothèse et son système d'amortissement. Elle grince un peu quand il fait humide et caillant. »
Je comprends mieux ! Je suis rassuré de savoir qu'il ne s'agit que de ce simple détail, même si celui-ci est assez intriguant. J'hésite à le questionner à propos de l'origine de cette prothèse, conscient qu'il doit s'agir d'un événement douloureux. Gaspard doit sentir mon embarras car il sourit tristement.
« C'est quasiment de naissance. Ma mère a eu un accident de voiture alors que j'étais encore un nourrisson. Une collision très violente avec un chauffard qui roulait à volle pétrol. Ma jambe a été broyée sous le choc, je n'ai jamais su comment exactement. On a toujours évité le sujet de l'accident. Enfin... Toujours est-il que j'ai été amputé. Heureusement, mes nerfs étaient toujours en place et on a pu m'équiper d'une prothèse. J'ai dû la changer souvent mais ils estiment que menant j'ai atteint ma taille adulte. J'en suis bien content parce que changer de pied, ce n'est pas très agréable ! »
J'imagine facilement que modifier d'un coup la hauteur d'une seule jambe doit être troublant ! Néanmoins, je suis émerveillé par l'efficacité du morceau de métal et de plastique : la démarche du jeune homme n'a rien d'anormal.
« Bon, on y va ? me propose-t-il avant que je ne sombre dans mes réflexions. »
Ayant eu ma réponse sans même poser la question, je n'insiste pas pour obtenir plus de détails quant au fonctionnement de l'engin. Après tout, cela le mettrait peut-être mal à l'aise. Plus qu'un morceau de robot, c'est sa jambe dont on parle. J'acquiesce donc et lui fait signe de me suivre.

Genève 8 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant