Partie 9 - Crise d'angoisse

410 39 9
                                    

La nuit est tombée, et Emma est à nouveau seule dans sa maison silencieuse.

Elle a passé la majorité de sa journée à aider Samantha et Elisabeth à préparer les plats et organiser le dîner qui se tient chez Deanna et Reg ce soir, pour accueillir le nouveau groupe qui vient d'arriver. Emma en a déjà rencontré quelques uns au cours de ses activités, chez Deanna ou même dans la rue. Le jeune Carl et sa petite soeur semblent être des enfants réservés, mais attachants et en bonne santé. Son ventre se serre encore en imaginant à nouveau Judith, et un petit sourire se dessine tout seul sur ses lèvres en voyant Carl.

Sa maison a donc été grande ouverte et fourmillante toute la journée, vivante de voix joyeuses, de pas pressés, de bruits de vaisselles, d'odeurs plus appétissantes les unes que les autres. Emma aime se sentir utile à cette communauté, leur rendre service, être présente. Mais elle aime aussi retrouver un peu le silence ; pas la solitude, juste le calme et le silence.

Elle sait depuis plusieurs heures qu'elle ne participera finalement pas à ce dîner auquel elle a pourtant beaucoup contribué. Elle sait que Deanna ne lui en tiendra pas rigueur non plus. Elle se sent trop fatiguée ce soir. Non pas physiquement, mais émotionnellement oui. Elle sent que ça va la reprendre, et elle ne se sent pas la force de lutter assez pour surmonter la vague et être en état d'affronter une foule de gens nouveaux d'ici peu de temps.

Alors elle a diné de bonne heure, de riz chaud, et d'eau. Elle retrouve lentement du plaisir dans le fait de se nourrir. Mais ce soir, elle se remplit encore davantage l'estomac qu'autre chose. Parce qu'elle sait que si elle ne mange rien du tout, Deanna aura son radar de branché qui lui signalera cet écart, et elle lui en fera inévitablement la remarque. Emma sourit tristement à cette idée. Deanna représente l'ordre, l'autorité, la voie à suivre, pour cette communauté. Elle représente surtout ce qui se rapproche le plus d'une mère pour la Emma, perdue et seule au milieu de cette fin du monde. Deanna peut être sévère, stricte, mais aussi attentive et réconfortante quand c'est nécessaire.

Emma a aussi été mère dans une autre vie. Elle avait aussi la faculté de savoir quand son enfant se portait bien ou pas, si elle s'était lavé les dents comme elle le lui avait demandé, ou pas. Elle avait des yeux derrière la tête qui impressionnait sa fille et qui l'amusait, elle, parce que c'était si facile, parce que si instinctif, si viscéral. Mais c'était bien dans une autre vie. Aujourd'hui, elle a repris le rôle de l'enfant. Et cela lui convient, suffit à son énergie, à ce qu'elle peut donner.

Après son frugal repas, Emma s'est allongée dans son lit, dans cette pièce calme et silencieuse, prévoyant de lire jusqu'à ce que le sommeil l'emporte jusqu'au matin au mieux. Etendue sur le coté, sa tête soutenue par son bras replié, les lignes défilent sous ses yeux sans que son esprit ne soit dans l'histoire. Ses pensées filent, malgré elle, dans tous les sens. Puis la vague est là, s'impose, toujours plus forte que le reste, toujours bien plus rapide que la fois d'avant aussi, encore plus implacable. Et, invariablement, son souffle s'accélère, ses entrailles se resserrent sur elles-mêmes, en spasmes de plus en plus douloureux. Sa gorge se noue. Elle bascule sur le dos, et ses yeux fixent le plafond blanc, la laissant faire, la laissant la submerger, incapable de résister.

"Tu vas voir, tu va aimer... lui murmure Gorman à l'oreille.

Il est là, étendu près d'elle, la main déjà sur le bas de son ventre. Elle sent même son souffle moite contre sa joue. L'air sent l'odeur de cet hôpital de malheur. Emma ferme les yeux, crispe les paupières, très fort. Elle est incapable de bouger, immobilisée par sa terreur. Focalisée par ce qu'elle ne veut pas sentir, et encore moins ressentir. Le dégoût d'elle-même, la nausée qui monte.

"Me laisse pas, Maman. Me laisse pas là... pleure Lisa. Emmène-moi ! Je serai sage, promis !

Emma se redresse au cri de sa fille qu'elle entend clairement. Elle ne peut retenir un gémissement sonore avant de se recroqueviller à nouveau sur elle-même. Son corps tout entier lui fait si mal qu'elle se tortille à ne savoir comment se mettre pour trouver un peu d'apaisement.

"Je sais que tu n'es pas là... prononce Emma à haute voix entre deux sanglots.

Elle se tient la tête entre les mains, très serrées, agrippant des mèches de cheveux emmêlés autour de ses doigts crispés, crochus, grattant même de ses ongles son cuir chevelu ou tirant encore sur ses cheveux en arrachant de fines poignées sombres. Elle tente tout pour faire diversion à la douleur fantôme qui lui laboure les entrailles. Pour faire taire aussi toutes les voix qu'elle entend juste contre ses oreilles et qui envahissent toujours sa tête au point d'en perdre ses propres pensées, sa propre raison.

"Bien sûr que je suis là, répond Lisa. Je suis là où tu m'as abandonnée. Je suis ton fardeau, ta honte. Je suis ton crime, assène la gamine brune, le visage mauvais.

Emma crie de terreur.

Elle hurle de désespoir.

Elle pleure de lassitude, impuissante à surmonter la vague. Ne pouvant que la laisser venir, partir, et revenir... jusqu'à ce qu'elle cesse d'elle-même, laissant Emma éreintée sombrer enfin dans un sommeil encore agité.

Elle n'entend pas les gens dans la rue, rentrant dans leurs maisons respectives, satisfaits de la soirée passée ensemble.

Elle n'entend pas les gens dans la rue, rentrant dans leurs maisons respectives, satisfaits de la soirée passée ensemble. Deux femmes avancent paisiblement vers leur logis.

"Ils sont plutôt sympathiques, je trouve... commente Samantha.

- Oui, Rick, c'est ça ? Il a vraiment de beaux enfants. Ca fait vraiment du bien de voir un bébé, s'attendrit Elisabeth accrochée au bras de son amie.

- La jeune femme noire semble très perturbée par contre. Elle m'a faite sursauter. Mais elle va se sentir bien ici, je suis sûre. Elle va aller mieux... se convainc la femme en hochant la tête.

Elles continuent ainsi leur chemin, jusque dans la nuit, satisfaites de leurs nouvelles rencontres, convaincues d'avoir agrandi leur communauté de nouveaux membres prometteurs.


Faire envie aux affamés - TWD - [TOME 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant