Partie 3 - Carol

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Carol reste plantée sur le seuil de la cuisine, la capuche baissée, le bandana sale sous son menton, fixant Carl derrière le comptoir. Elle retient encore la vague de larmes qu'elle sent à nouveau monter en elle et qui l'a déjà prise par surprise sur le perron. Mais ça va aller. Elle inspire en silence pour qu'elle passe, sans déborder.

Emma s'est retournée en l'entendant entrer dans la maison, la fixant, à l'instar de Carl. Et bien malgré elle, elle se raidit, sentant un frisson d'appréhension cavaler le long de sa colonne vertébrale. Elle se rend compte, comme un choc, que le visage de la femme est sale, barbouillé, un amas de sang séché macule son front, les restes du W qu'Emma lui a vu inscrit quelques minutes plus tôt, dans la rue. Comme si Carol avait voulu frotter pour l'enlever, sans grand succès.

Plantée là, incapable de bouger davantage ni de dire un mot, Carol se laisse surprendre, percuter, par un souvenir. Elle se souvient de la première fois où Daryl a aperçu cette fille.

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Elle avait bien vu qu'il culpabilisait encore d'avoir perdu Beth, enlevée par ce groupe de tarés. Elle était pourtant parvenue à le tranquilliser, voire à l'apprivoiser, à ce qu'il l'accepte comme une vraie amie, un vrai repère, après les avoir tous délivrés de l'enfer du Terminus. elle avait même accompagné le chasseur pour retrouver la jeune fille. Elle se rend compte qu'ils n'avaient jamais été aussi proches qu'à cette période. Mais la mort de Beth avait achevé de détruire le nouvel espoir en l'humanité que la gamine blonde avait pourtant réussi à faire naître en lui. Après ça, Daryl s'était éloigné très sensiblement de Carol. Cette injustice absolue à propos de Beth avait détruit tout ce qu'ils avaient construit patiemment entre eux et il s'était à nouveau recroquevillé dans sa solitude, dans son silence. Il ne revenait plus vers elle comme il en avait pris l'habitude. Elle avait tenté maintes fois de lui faire comprendre qu'elle était toujours là, qu'ils n'étaient pas morts, qu'il fallait qu'il arrive à se laisser aller pour faire sortir sa douleur, pour qu'elle ne disparaisse sans doute pas, mais qu'elle soit plus légère à porter. Quitte à pleurer. Elle s'était même lâchée à l'embrasser sur le front et il s'était encore laissé faire. Elle luttait de toutes ses forces, pour le garder parmi eux, pour le garder vers elle.

Et puis Aaron s'était présenté à eux, dans la grange isolée dans les bois. Là où, encore une fois, Daryl leur avait sauvé la vie, les sauvegardant inconsciemment de la tornade qui s'était abattue durant la nuit au dehors, balayant miraculeusement le groupe de marcheurs venus taper à leur porte.

Ils avaient suivi Aaron jusqu'à Alexandria et Carol avait suivi son groupe, les décisions de Rick, comme les autres, comme Daryl. Ce dernier avait trouvé sa place : il sécurisait les alentours, protégeait son groupe, sa famille. Et Carol était heureuse pour lui, même si elle sentait qu'il n'était plus si proche d'elle. Le principal était qu'ils soient tous ensemble, tous unis. C'était sa raison d'être, même si leur vie était à nouveau chaotique, sans avenir proche. Suivre Aaron était alors l'issue à suivre après maintes réflexions. Elle était au moins un nouvel espoir d'une pause, d'un cadre de vie plus sauf et serein.

Deanna leur avait alloué deux maisons voisines, meublées, très confortables et ils avaient tout d'abord habité dans la première, avant qu'elle n'occupe celle qui avait le numéro 101 incrusté dans une des marches du perron. Ils avaient tous eu un "poste" défini par Deanna. Quand Rick avait été nommé nouveau shérif, Daryl avait encore reculé face à la civilisation. Il passait ses journées hors de l'enceinte, prétextant d'aller chasser, prenait ses directives auprès de Rick, mais sans plus, avant de retourner dans son univers très personnel.

Daryl a perdu tous les bénéfices qu'ils avaient réussi à instaurer entre eux en terme de sociabilité. Aujourd'hui, Il est pire qu'avant selon elle. Surtout parce qu'il la repousse ouvertement. Vertement, même. Alors forcément, sur le moment, Carol lui sourit doucement, face à ses mots trop durs, face à ses bourrades. Elle se dit qu'elle est peut être agaçante. Mais ils forment une famille, et certains des membres sont souvent plus agaçants que d'autres, certes, mais ce n'est pas pour ça qu'on les aime moins. Parce qu'ils sont une famille. Et même ça, Daryl semble ne plus vouloir en faire cas, ne plus vouloir en faire partie. Alors elle espère, à chaque occasion où elle croise le regard sombre du chasseur, elle espère qu'elle se trompe.

Et puis Carol revoit l'instant où ils étaient ensemble alors qu'ils marchaient calmement dans la rue proche de la maison et où il l'a aperçue, elle, sur le porche de sa maison, à quelques mètres de la leur. Il l'a laissée plantée là, sans un mot, se précipitant vers l'inconnue qui ne l'avait même pas vu.

Depuis lors, elle ne peut pas s'empêcher de ne pas s'attacher à Emma, comme elle le fait naturellement avec les autres femmes de la communauté ; elle doit bien se l'avouer, puisque c'est plus fort qu'elle. Elle l'a bien fait comprendre à Daryl qui n'en a visiblement cure. Il lui a expliqué les circonstances de leur rencontre mais elle ne comprend pas comment il peut s'être attaché aussi fort à cette fille en seulement trois jours ?!

Alors, évidemment, depuis, Carol s'est tournée vers les choses vraiment importantes, soutenir Rick, s'intégrer à la communauté, aider Sam, terroriser son père, avant de le dénoncer à Rick, redevenir invisible... pour qu'il fasse ce qu'il fallait faire.

Jusque maintenant.

Parce qu'elle doit avouer que cette attaque lui a permis de retrouver l'adrénaline qu'elle pensait avoir perdue. C'est vrai que sans Emma, elle ne serait peut être plus là.

"J'espère que tu as proposé quelque chose à Emma, Carl. Elle doit avoir faim et soif.

- Oui... je lui ai donné un cookie... lui répond Carl un peu surpris, conscient de l'ambiance devenue glaciale.

- Parfait... je vais me changer et je fais du thé", dégainant sourire et regard plissé.

Carl reporte son regard sur Emma qui semble rester stoïque et lui fait un doux sourire en levant un sourcil.

Vivant avec elle, il a bien entendu les mots de Carol à propos de la jeune femme assise maintenant devant lui. Il a compris les sentiments méfiants qu'elle porte à la nouvelle. Il a bien vu le changement de comportement de Daryl depuis que la petite femme est entrée dans leur univers. Daryl fait partie de sa famille, tout comme Carol. Ils sont tout deux des piliers de sa cellule familiale, comme l'est son père. Et il s'était laissé influencé par la rancoeur palpable de Carol vis à vis d'elle. Puis il l'avait laissée l'approcher. Il l'avait observée, et il s'était rendu à l'évidence : Emma n'était pas méchante, et ne voulait pas faire d'histoire. Si Daryl était le plus souvent avec elle, elle n'avait visiblement rien fait pour l'éloigner non plus de Carol. Daryl faisait, comme toujours, exactement ce qu'il voulait et encore plus depuis qu'ils étaient à Alexandria.

Et puis Emma avait des oreilles, mais pas de langue. Il savait que tout ce qu'il pouvait exprimer à haute voix en sa présence restait définitivement entre lui et elle. Elle n'était pas comme tous ces adultes qui ne pouvaient s'empêcher de juger ou cafter les moindres comportements ou mots de travers d'un enfant. Carl s'était donc fait sa propre opinion vis à vis d'Emma et se sentait mal à l'aise de voir la froideur persistante avec laquelle Carol continuait à la traiter.

Alors, là, voir Carol plus souriante et accueillante avec Emma lui faisait plaisir mais il comprenait aussi que quelque chose d'important s'était certainement passé entre les deux femmes.

Faire envie aux affamés - TWD - [TOME 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant