Le raffut équivalant à une explosion envahit subitement l'habitacle confiné, et assourdit les oreilles de la jeune femme qui n'a que le temps de sursauter et de se crisper davantage, agrippée à deux mains sur le volant.
Mais cela ne suffit pas et devant elle, à travers le pare-brise sale, le paysage vire sur la gauche et bascule violemment, alors qu'un long gémissement aigu franchit sa mâchoire serrée.
Sa ceinture de sécurité la serre sur toute la longueur du torse, son dos se décolle encore un peu plus du dossier, et ses fesses ne sentent plus le grand siège qu'elle ne remplit déja pas en position assise. Sa tête, elle, perd le contrôle et part, heurte, rebondit et retape sur la vitre dure. Et c'est sa tempe gauche qui prend tous les chocs à répétition.
La ceinture la comprime encore et encore, coupant son souffle, lui entrant dans les entrailles et dans les côtes qui se pressent sur le gros accoudoir qu'elle trouvait pourtant confortable la minute d'avant.
Puis plus de bruit. Plus de mouvement. Plus de lumière.
Plus rien.
Pourtant, la minute d'avant...
Juste la minute d'avant, la fenêtre droite du gros van noir est toute ouverte, aérant le grand habitacle non aménagé à l'arrière et soulevant, comme toujours de longues mèches brunes, qui montent, virevoltent et viennent se coller au plafond, comme joyeuses, comme vivantes. Enfant, elle aimait les voir monter au plafond, cela lui donnait invariablement un sentiment de liberté, de joie. Puis plus tard, elle était heureuse d'entendre les éclats de rire que cela provoquait dans le siège auto derrière elle, riant avec Lisa, bébé. Mais à cette minute là, les éclats de rire qu'elle entend encore dans sa tête ne lui provoquent que des sanglots secs.
Emma n'ouvre jamais entièrement la fenêtre conducteur, pour se parer à toutes éventualités, errante ou vivante, qui pourraient venir lui arracher le visage ou le lui faire disparaître d'une arme plus lourde que des dents.
Et la minute d'après...
Et puis la minute d'après, le van noir est couché au bord du petit fossé qui longe la route forestière sur des kilomètres. La roue arrière droite tourne encore sur son axe, de son propre élan, le pneu en lambeaux.
Même les éclats de rire se sont enfin tus.
.
.
C'est vrai que la jauge de la LTD clignote rouge depuis quoi ? Une heure ? Davantage ? Elle ne saurait le dire, bien trop plongée dans ses pensées.
Emma a le regard fixe, ne voyant même plus la route rectiligne devant elle, monotone et déserte de toute vie, déserte de tout intérêt. La jeune femme est plongée dans ses tristes pensées, dans sa triste solitude, dans son triste destin tout tracé devant. Il y a encore quelques jours, elle n'avait même pas osé reprendre espoir sur le moment, encore trop tiraillée par sa peur viscérale des hommes vivants. C'est quand tout a été déjà fini qu'elle a réalisé que c'était peut être le meilleur qui pouvait lui arriver. Cet homme-là du moins, était sans doute le meilleur qui puisse lui arriver. Et ce n'est qu'une fois seule, à nouveau, sur la route, sur ce passage à niveau en pleine forêt, qu'elle a compris sa perte réelle.
Non, en fait, c'est maintenant qu'Emma est en train de réaliser l'ampleur de sa perte. Elle roule sans savoir où aller. Elle avance sans savoir ce qu'elle cherche, ce qu'elle veut, ce qu'elle attend. Elle roule parce qu'elle n'a rien de mieux à faire dans le fond. Mais elle resterait inerte sur la route que ça ferait le même résultat non ?
En attendant, la jauge d'essence clignote de toutes ses forces rouges avec un tic-tic insistant. C'est vrai qu'elle n'a pas levé le pied, tant qu'elle a pu, tant que la route était suffisamment dégagée. Elle a bien croisé quelques rodeurs, lents et blafards, , mais assez peu pour ne pas être arrêtée dans sa course. Depuis longtemps, ce n'est pas tant les morts qui l'effraient, que les vivants.
Alors elle ne peut pas s'étonner quand la grosse familiale crachote et ralentit en plein milieu de nulle part, avant de s'arrêter définitivement sur la route déserte.
Emma soupire, les mains toujours sur le volant. Regardant droit devant. Cette route interminable. Calme. Le ciel est encore clair, le temps est sec. Elle n'a qu'à avancer et voir ce qui se présentera plus loin.
"Tu as eu beaucoup de chance jusqu'ici... pense-t-elle. Ne tente pas trop le diable quand même..."
Elle ouvre la portière, pourtant.
.
.
La nuit est tombée et Emma est toujours sur la route. Elle n'a croisé aucune maison, aucun abri, aucun véhicule où...
Là-bas ! Il y a une masse plus noire ! Elle en est sûre et accélère encore le pas, lasse de son sac à dos devenu trop lourd. Son sac poubelle rond et souple de la petite couette qu'elle a fourrée à l'intérieur, avant d'abandonner la Ford, ballote un peu plus rapidement contre sa cuisse.
Elle n'a plus que quelques centaines de mètres à parcourir avant d'atteindre la masse de plus en plus nette. Sûr, c'est un véhicule, un gros même.
Ses pas font craquer les feuilles et les débris sans qu'elle n'y prête de réelle attention. Elle est proche du but. Mais elle s'arrête net en entendant plusieurs claquements successifs sur sa gauche, dans les bois, comme des branches qui cassent. Elle reconnait ces craquements qui lui ont sauvé la vie dans la clairière en distrayant la horde. Mais ici, elle sait qu'ils ne sont pas de bonne augure.
Puis les grognements. Révélateurs. Nombreux.
"Et merde... maugrée-t-elle dans sa tête.
Alors sans plus réfléchir, Emma court, et les rales lui font une véritable haie d'honneur, les premiers rodeurs surgissant mollement de l'orée des arbres. Le petit fossé longeant la bande goudronnée en piège quelques uns, les faisant perdre l'équilibre et les faisant s'étaler de tout leur long, tandis que les morts suivants leur marchent déjà dessus dans des bruits secs d'os qui cassent, puis humides et mous.
Emma court, droit devant.
Soudain, comme une illumination, elle sait pourquoi elle avance. Elle sait que d'autres gens existent encore. Elle sait qu'il n'y a pas que des morts errants éternellement. Elle sait qu'il n'y a pas uniquement que des meurtriers ou des tortionnaires. Il y a des gens normaux et équilibrés. Elle en est foncièrement convaincue. Parce que ca ne peut pas être autrement. Il le faut.
Alors pourvu que le van qui grandit à vue d'oeil est accessible. Et libre.
VOUS LISEZ
Faire envie aux affamés - TWD - [TOME 2]
Fanfiction6x02 - Après avoir lancé la cuisson de ses lasagnes aux légumes, tout dérape. Carol se retrouve dans son élément et gère l'attaque des Wolves d'une main de maître, comme elle sait si bien le faire...Comment cela va-t-il finir ? Ou n'est-ce que le c...