IX ○ Pourquoi ?

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Claire se remit en marche à pas lourds vers la chambre de Louis. Arrivée derrière la porte, elle tint un instant le plateau-repas en équilibre sur son genou et glissa la clé dans la serrure pour la déverrouiller. Elle attendit encore quelques secondes avant d'ouvrir la porte ; elle s'efforçait de calmer le rythme effréné de son cœur et de paraître la plus calme possible. Après tout, Asimov venait de lui dire que Louis pouvait se montrer violent. Tout pouvait arriver. Elle devait se montrer la plus calme possible devant Louis.

Elle entra finalement avec un grand sourire. Un sourire de façade - intérieurement, elle était terrifiée.

Louis était assis sur son lit, le dos appuyé contre le mur. Ses yeux se perdaient dans le vide devant lui, comme recouverts d'un fin voile blanc. Son visage faisait froid dans le dos. Il serrait ses genoux contre sa poitrine, visiblement de toutes ses forces, et donna à Claire l'image d'un naufragé s'accrochant désespérément à une bouée de sauvetage. Il serrait ses jambes contre son corps frêle comme si sa vie en dépendait, tremblant comme une feuille. Ses joues étaient rasées de près, et cela lui donnait un air un peu plus en forme que la veille - en omettant le fait que son front était barré d'une large ecchymose violette, qui tournait déjà presque au noir.

- Louis ? tenta Claire en se raclant la gorge.

Il sursauta en entendant sa voix et tourna la tête vers elle. Son regard afficha tout d'abord une intense peur, mais un éclair de colère vint vite l'effacer. Ses pupilles se dilatèrent, recouvrant presque entièrement le bleu pâle de ses iris. Ses yeux laissaient transparaître une telle haine que Claire en était complètement déstabilisée. Immédiatement, l'image de Muriel apparut dans son esprit et son cœur se serra devant l'image de son fils chéri aussi mal en point. Il fallait qu'elle les aide.

Elle secoua sa tête en fermant les yeux un instant et se reconnecta à la réalité.

- Tiens, voilà ton petit déjeuner.

Elle posa le plateau sur le matelas, juste à côté de lui. Il ne bougea pas d'un millimètre, mais ses yeux ne lâchaient pas un seul des mouvements de l'infirmière. Une lueur presque animale brillait dans son regard ; la même lueur qui teintait les yeux d'un fauve en cage observant ses geôliers avec un mélange de peur et de colère.

Claire était partagée entre l'idée de partir en laissant ici le plateau comme le lui avait conseillé Asimov et l'envie de rester avec lui, d'essayer de créer un lien qui lui permettrait de l'aider. Elle opta vite pour la seconde option et tira la petite chaise pour s'asseoir face à lui. Elle resta près de deux minutes silencieuse. Tous les deux s'observaient sans ciller, comme deux lions se tournant autour avant un affront.

- Tu devrais manger un peu, tu sais, dit-elle finalement en désignant du menton le petit déjeuner posé sur le matelas. Tu ne vas pas rester toute la journée sans manger, si ?

Comme elle s'y attendait, Louis ne montra aucune réaction et se contenta de la fixer intensément, sans même battre des paupières.

Après un long moment passé à se jauger mutuellement, le patient finit cependant par pousser un long soupir. Comme si Claire l'exaspérait au plus haut point.

- Pourquoi ? demanda-t-il soudainement.

Sa voix, ou plutôt l'espèce de couinement rauque qui s'échappa de ses lèvres, surprit Claire. Elle était râpeuse et enrouée, comme si cela faisait des dizaines d'années qu'il n'avait pas prononcé un mot. Mais étrangement, elle était presque agréable à écouter. Cette voix ajoutait encore à ce côté mystérieux qui émanait de lui.

À vrai dire, Claire s'attendait à tout sauf à une réponse de sa part. Et puis, on pouvait difficilement dire que cette réponse était aimable. On aurait plutôt dit de la rage pure qu'il venait de lui cracher au visage à la manière d'un serpent venimeux.

- Pourquoi quoi ? répondit-elle.

Elle n'était pas rassurée et n'en menait pas large face à lui, mais elle préféra ne pas se laisser démonter et agir le plus normalement possible - agir comme si le regard froid posé sur elle n'exprimait pas toute la haine imaginable.

Il resta silencieux. Ses yeux, d'un noir à peine cerclé de bleu, durs et froids comme de la glace, parlaient pour lui. « Pourquoi n'agis-tu pas comme les autres ? » semblaient-ils dire. « Pourquoi cherches-tu tant à me venir en aide ? Au secours. Laisse-moi. Va-t'en. Aide-moi. » Un mélange incompréhensible d'émotions et de sentiments contradictoires brillait dans ces prunelles, et Claire s'y sentait perdue.

- Je ne comprends pas ce que tu veux me dire, Louis, reprit-elle, cette fois d'une voix plus forte et plus assurée. Peux-tu m'expliquer plus clairement ?

Ses yeux parurent s'assombrir davantage. Ses poings étaient serrés, tellement serrés autour de ses genoux que les jointures de ses phalanges en étaient blanches. Ses mâchoires contractées l'une contre l'autre crissaient. Pourquoi avait-il l'air aussi énervé tout d'un coup ? Qu'avait-elle dit, qu'avait-elle fait de mal ? Cette colère avait-elle même un lien avec elle, ou était-elle destinée à l'ensemble du personnel médical ?

Quelles que fussent les réponses à ces questions, le jeune homme qui se trouvait désormais en face d'elle était bien loin de celui dont elle avait fait la rencontre la veille. En cet instant précis, elle se dit même pour la première fois depuis deux jours - non sans honte - qu'il méritait cette place en hôpital psychiatrique. Il avait l'air prêt à se jeter sur elle si elle esquissait le moindre mouvement.

Claire avala difficilement sa salive et s'apprêtait à suivre les conseils d'Asimov - à savoir quitter cette pièce le plus rapidement possible - lorsque la porte de la chambre s'ouvrit sur le psychiatre lui-même. Il était dix heures, et il venait pour sa consultation avec Louis.

- Tout va bien ? demanda-t-il à l'aide-soignante tout en dévisageant Louis.

- Je pense, oui, répondit Claire.

- Vous pouvez disposer, Mademoiselle Breton, ordonna Asimov d'une voix claire. Je pense que nous n'aurons pas encore fini à l'heure du déjeuner, vous pourrez rester en salle commune. Je m'occuperai de lui faire monter son repas.

Claire tiqua une seconde ; le psychiatre parlait comme si Louis n'était pas là, avec eux, dans la pièce. Elle fila cependant sans demander son reste, heureuse de quitter enfin le regard froid et haineux du schizophrène.

Finalement, aider Louis àaller mieux serait bien plus difficile et éprouvant que prévu.

- ○ -

Devinez de qui c'est l'anniversaire aujourd'hui ? 😌 Bref, on s'en fout.

Ça me fait rire de voir que certains d'entre vous s'attendent à une histoire d'amour entre Louis et Claire. x) (Berk.)

Sinon ! J'ai mis en ligne le premier petit défi d'écriture, je vous invite à aller voir le livre correspondant sur mon profil ^^

Et un grand merci pour les 1K !!

AlogieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant