IV ○ C'était pour son bien.

393 46 15
                                    

 – Madame ? Tout va bien ?

Au moment même où elle prononçait ces paroles, Claire s'infligea mentalement une énorme claque. « Tout va bien » ? Venait-elle vraiment de dire une bêtise pareille ? Évidemment que rien n'allait. Le visage de cette femme scintillait, inondé de larmes, comment pouvait-elle aller bien ?

L'inconnue sursauta au son de sa voix, comme si elle ne s'était pas encore rendue compte de sa présence juste sous son nez. Elle leva vers elle de grands yeux exorbités. L'un était bleu, l'autre était vert. Et tous les deux brillaient de tristesse et surplombaient des cernes, peu visibles mais bien présents. Silencieusement, la femme essuya du bout du doigt sa paupière inférieure et secoua la tête de gauche à droite.

Claire hésita un instant.

– Vous voulez... parler ?

Elle pencha la tête sur le côté comme un chiot, avant de répondre d'une voix brisée et usée par ses larmes.

– Cela ne vous dérange pas ? C'est que... Ce n'est pas forcément très joyeux, et...

– Si je vous le propose, c'est que non. Prendre du temps pour vous écouter ne me dérange pas.

Claire lui sourit et l'entraîna vers les quatre chaises en plastique bleu qui étaient disposées juste à droite de l'ascenseur. Elles s'y assirent toutes les deux, face à face. Un pesant silence s'installa pendant de longues secondes. Ce fut la plus âgée des deux femmes qui le brisa dans un souffle.

– Vous savez, quand on est mère, on ne souhaite que le bonheur de ses enfants...

Sa voix était rauque. Claire se demanda si ses pleurs la rendaient aussi éraillée, ou si elle avait l'habitude de fumer un paquet de cigarettes par jour. Sûrement un peu des deux.
Elle était grande, mais ses épaules et son dos voûtés sur cette pauvre chaise bleue lui donnaient un air chétif d'enfant ayant besoin d'être consolé. Son corps était parcouru de sanglots silencieux. Cette femme dégageait une telle aura de détresse que Claire se sentait obligée de lui proposer son aide.

L'inconnue releva la tête vers l'aide soignante et lui offrit un timide sourire.

– Vous semblez toute jeune. Vous n'avez pas encore d'enfants, n'est-ce pas ?

– Je commence seulement à y penser, répondit Claire en lui rendant son sourire. Mais je n'ai que vingt-huit ans, alors je me dis que j'ai encore le temps d'y réfléchir.

– Oui, vous avez raison, prenez votre temps.

Elle marqua une pause, mordillant nerveusement sa lèvre. Ses yeux embués s'étaient de nouveau perdus dans le vide devant elle.

– J'ai un fils et une fille, reprit-elle d'une petite voix. Et... ils ne se sont jamais rencontrés, en fait. Je vous ai dit qu'en tant que mère, on veut tout le bonheur du monde pour ses enfants. Mais parfois, tout ne se passe pas exactement comme prévu.

Elle semblait hésiter à parler, marquait de longues pauses entre deux phrases. Ses larmes s'étaient temporairement taries, mais Claire sentait qu'il suffisait de peu pour qu'elles se remissent à couler. Elle prit une profonde inspiration avant de poursuivre.

– Mon fils est ici, depuis bientôt trois ans et demi. Il s'appelle Louis. Voyez-vous de qui il s'agit ?

Claire hocha la tête.

– Je suis son aide-soignante référente, depuis peu. Je soulage le travail des infirmiers en m'occupant de lui durant la semaine.

Et après cette révélation, cette femme ne semblait plus être une inconnue à ses yeux. Claire retrouvait maintenant dans ce visage triste les mêmes traits que dans celui, vide d'émotions, de son fils. Son œil gauche était de l'exacte teinte bleue, presque grise, des iris de Louis. Et ils avaient les mêmes cheveux courts, bruns et emmêlés.

La mère de famille détourna le regard et le replanta dans le carrelage blanc qui couvrait le sol.

– Je... J'étais obligée de l'envoyer ici, vous comprenez ? C'était pour son bien... Je ne voulais pas lui faire de mal...

À ces mots, une larme perla au coin de son œil et se mit à rouler le long de sa joue.

– Je ne sais pas pourquoi il a commencé à vouloir mourir, il y a quatre ans. J'ai l'impression que tout est de ma faute, que je n'ai pas su faire mon travail de mère correctement...

– Ne dites pas ça..., la coupa Claire d'une voix réconfortante en prenant ses mains tremblantes entre les siennes.

– Je ne comprends toujours pas... C'était un enfant tellement joyeux, toujours souriant. Et puis du jour au lendemain, il a entièrement changé. Il s'est refermé sur lui-même, et il était impossible de lui adresser un mot. En à peine quelques jours, il s'était complètement coupé du monde...

Elle avala difficilement sa salive, sûrement pour essayer de ravaler ses pleurs.

– Nous n'avons rien vu venir... Cela me fait tellement mal au cœur de le laisser ici, même si je me dis que c'est pour son bien. Je m'en veux de ne pas pouvoir venir tous les jours, je m'en veux tellement, si vous saviez. Cela fait trois ans et demi que je suis la seule personne de son... ancienne vie à être venue le voir. Il... Il...

Sa voix tremblait. Le cœur de Claire se serra. Elle qui s'était déjà décidée à aider coûte que coûte Louis à aller mieux, ces paroles ne faisaient qu'amplifier sa volonté. Elle voulait coûte que coûte aider cette famille à être de nouveau unie. Elle voulait aider cette mère à retrouver son fils.

– J'aimerais tant qu'il puisse rentrer à la maison, qu'il rencontre enfin sa petite sœur... Qu'il retrouve une vie normale, la vie qu'il menait il y a quatre ans, la vie que l'on menait il y a quatre ans...

Elle renifla et essuya ses joues humides du revers de la main.

– Je... Je suis désolée, murmura-t-elle. Je dois rentrer, on m'attend. Merci d'avoir pris un peu de temps pour m'écouter.

Elle se leva, et Claire l'imita.

– Il n'y a pas de quoi, répondit l'aide-soignante avec un chaleureux sourire. Prenez soin de vous.

L'autre lui sourit timidement en retour et lui serra la main. Sa poigne était étrangement forte malgré la finesse des os de sa main.

– Si vous avez besoin de parler la prochaine fois que vous venez, demandez Claire. Si je peux faire quoique ce soit pour aider Louis à aller mieux, ce serait avec un grand plaisir.

– Merci beaucoup Claire... Je m'appelle Muriel.

- ○ -

Hey hey !
Comment ça va ?

Question time.
Pas beaucoup d'action dans ce chapitre, je vous l'accorde.
Quelles sont vos impressions sur ce nouveau personnage ? La relation qu'elle entretient avec son fils, son sentiment de culpabilité ?
Vous pouvez un peu commencer à imaginer le passé de Louis, quelles sont vos pistes?
Qu'attendez-vous de la suite ?
Pensez-vous que Claire réussira à aider Louis à aller mieux ? Peut-être même à guérir ?

Je risque de ne pas pouvoir répondre à vos commentaires avant le weekend prochain. Mais je ne vous abandonne pas ! Portez vous bien et sortez couverts les enfants ;)

PS : Certains d'entre vous l'ont peut-être vu, j'ai mis en place le fameux livre de critiques dont je vous parlais au chapitre précédent. N'hésitez pas à venir voir, p'têt bien que vous trouverez de jolies lectures :)

AlogieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant