XXIV ○ Il lui rappelait Dorothée.

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Ses mains étaient gelées. Aussi froides que celles d'un cadavre.

Dans les couloirs en montant, Claire avait croisé Asimov en coup de vent, qui lui avait brièvement expliqué les "fâcheux événements" de la veille.

Muriel Perrault était arrivée à l'hôpital vers six heures du soir, pour voir son fils. Son fils qu'elle avait retrouvé dans un état lamentable.
Assis par terre, au milieu de lambeaux de papiers, juste sous une petite tâche ensanglantée sur le mur.
Il avait frappé, frappé, encore et encore, à s'en briser les doigts, à s'en casser les ongles. Il avait aussi hurlé, certainement, mais personne ne l'avait entendu.
Et le pire, c'était qu'il semblait ne se souvenir de rien.

Claire regarda attentivement le jeune homme en face de lui. Ses yeux étaient différents, aujourd'hui. Il ne s'était pas réfugié dans la catatonie en se réveillant ce matin, Claire en mettrait sa main à couper : il lui avait répondu, il avait mangé, et mieux encore, il la fixait avec des yeux adultes. Un adulte qui semblait certes effrayé, mais un adulte qui semblait avant tout sensé.

Elle s'éclaircit la gorge, un peu déstabilisée par cet air nouveau qui flottait sur le visage de Louis. Elle ne l'avait encore jamais vu aussi lucide, et elle craignait au premier abord qu'il ne fût agressif.
Mais il la laissa manipuler ses mains sans rien dire, doux comme un agneau, et elle se détendit.

- Est-ce que tu sais comment tu t'es fait ça ? demanda-t-elle en le regardant de nouveau. Tu te souviens de ce qui est arrivé ?

Il secoua la tête.

- Non. Je ne me souviens de rien.

Il garda le silence quelques secondes, avant de murmurer un prénom, si bas que Claire ne fut pas certaine de bien comprendre.

- Emelyn...

- Emelyn ? répéta l'infirmière. Que se passe-t-il avec Emelyn ?

- Son dessin...

Il baissa les yeux vers le sol, là où sa mère l'avait retrouvé la veille au soir.

- Je l'ai mis en pièces, elle va me détester...

- Je suis certaine que non.

Claire lui sourit et serra un peu plus ses mains dans les siennes, tout en veillant à ne pas lui faire mal.

- Elle ne t'en voudra pas, ne t'inquiète pas pour ça.

- Comment pouvez-vous en être si sûre ?

Ces paroles à peine prononcées, l'éclat de méfiance qui avait jailli de ses yeux gris s'éteignit, et il baissa la tête en balbutiant des excuses.

- Vous devez avoir raison, ajouta-t-il. Vous la connaissez mieux que moi.

- Louis, cesse de t'excuser, ce n'est rien.

Elle pinça les lèvres. Bien qu'il ait presque son âge, elle avait l'impression d'avoir en face d'elle un adolescent. Un jeune de dix-sept ou dix-huit ans, manquant cruellement de confiance en lui, terrifié par l'image qu'il imaginait donner aux autres.
Il lui rappelait Dorothée. Dorothée...

Sa sœur avait été diagnostiquée dépressive à l'âge de vingt ans, mais elle souffrait déjà depuis de longues années avant que le verdict ne tombe.
Claire avait grandi dans le mal-être croissant que Dorothée faisait régner à la maison. Leur famille avait été petit à petit rongée par l'inquiétude, dès l'entrée au lycée de la plus âgée des deux filles. Dorothée n'avait jamais voulu parler de ses problèmes, et leur mère avait mis longtemps avant de lui faire accepter de se faire aider par un psychologue - mais il était sûrement déjà trop tard. Elle avait un fort caractère, Dorothée. Sur ce point-là, elle n'avait fini par céder que lorsqu'elle s'était retrouvée au plus bas.

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