Les jours passèrent. Le comportement de Louis était revenu à la normale – du moins, à la normale dans le cadre de sa maladie. Il faisait encore régulièrement des cauchemars la nuit, et se murait toujours dans un épais silence le lendemain, mais cela ne lui arriva plus jamais en pleine journée.
Le vingt-six juillet, Claire accompagna son patient comme tous les jours en salle commune. Il devait être quatorze heures, et tout le monde avait déjà mangé.
À l'extérieur, le soleil brillait haut dans le ciel et chauffait la salle par les grandes fenêtres. De lourds nuages blancs s'amoncelaient sur l'horizon comme de paresseux moutons blancs, mais le temps était globalement au beau fixe. Le parc verdoyant du complexe hospitalier semblait paisible et accueillant. Le jour approprié pour une petite balade.
Claire interpella Louis avant qu'il n'allât s'installer à sa place habituelle, sur le rebord de sa fenêtre.
– Louis ! Veux-tu aller prendre un peu l'air dans le parc cet après-midi ?
Elle aurait juré voir ses yeux s'illuminer une fraction de seconde, avant de reprendre leur expression terne.
Depuis combien de temps n'avait-il pas mis les pieds dehors ? Claire pensait que Muriel l'emmenait s'y promener de temps à autre, mais tout bien réfléchi et au vu de sa réaction, peut-être que cela faisait des semaines que Louis n'était pas sorti.
Il la suivit sans un bruit hors de la pièce, ses yeux fixés sur ses pieds, comme une ombre. Dans l'ascenseur, il sembla moins tendu qu'à l'accoutumée. Il respirait plus calmement, et ce même si la descente durait plus longtemps que d'habitude. L'annonce de cette sortie semblait l'avoir adouci.
Dans le hall d'entrée, au rez-de-chaussée de l'hôpital, Claire s'engouffra dans un couloir dont l'accès était réservé au personnel médical. Illuminé par la brillante lumière du jour, il s'ouvrait au bout sur la cour intérieure de l'hôpital, les jardins destinés aux patients. Elle ouvrit la double porte en plexiglas, et Louis et elle sortirent dans la douce chaleur de cette journée d'été.
Louis promenait ses yeux tout autour de lui, il sondait du regard chaque buisson, chaque fleur. Il semblait à l'écoute, éveillé, attentif. Sans parvenir à expliquer pourquoi, Claire le sentait plus apaisé. Le simple fait de sortir de l'enceinte de l'hôpital pouvait-il avoir un effet si bénéfique sur lui ?
L'air était étouffant au soleil, mais sous l'ombre des arbres soufflait une légère brise qui rendait la promenade agréable. Les oiseaux ne chantaient que dans les branches les plus hautes.
Il y avait du monde dans les étroites allées, l'éclat attrayant du soleil en avait visiblement attiré plus d'un. Il fallait dire que l'air frais était bien plus agréable que celui, aseptisé et parfois étouffant malgré la climatisation, d'une chambre d'hôpital.
Claire se rangea sur le côté quand un fauteuil roulant arriva face à eux sur le sentier. L'infirmier qui le poussait lui fit un signe de tête amical, auquel elle répondit tout aussi aimablement.
La vieille femme qui y était assise lui sourit quant à elle chaleureusement. Son visage ridé et creusé par les années affichait une bonté sans limites. Le sourire qui le fendait, à moitié édenté et empli de non-dits et de secrets, semblait lui avoir été réservé. Non, ce n'était pas une simple marque de politesse, Claire en était certaine – elle avait voulu lui dire quelque chose. Elle en fut troublée un court instant, essayant de déchiffrer ces deux yeux noirs posés sur elle, mais elle en fut complètement incapable.
En l'espace d'une seconde, le fauteuil roulant était passé, et la femme âgée disparut dans l'enceinte de l'hôpital.
Claire se retourna vers Louis. Il avait les yeux fermés et le nez en l'air. La lumière du soleil filtrée partiellement par le feuillage des arbres faisait danser des reflets dorés sur son visage pâle. Ses traits étaient paisibles, ses cernes devenus presque invisibles. Sa poitrine se soulevait régulièrement, et il expirait profondément par le nez à chaque respiration.
Se sentant certainement observé, ses paupières se rouvrirent, et il posa son regard de glace sur elle. De la glace, il n'en avait pourtant plus que la couleur. Les deux prunelles gris-bleu brillaient d'un nouvel éclat que Claire ne leur avait jamais vu. Une étincelle détendue, presque joyeuse. Décidément, le Louis de l'extérieur n'avait rien à voir avec celui qui restait cloîtré dans sa chambre d'hôpital comme un animal en cage.
Il marchèrent une bonne heure dans les allées du parc, complètement en silence. Claire laissait Louis aller où bon lui semblait et se contentait de le suivre.
Contrairement à ce qu'il pouvait faire penser en déambulant sur les sentiers, Louis ne marchait pas au hasard. Il les mena au fond du parc, là où était érigé l'ancien kiosque à musique. Claire n'était jamais venue de ce côté des jardins, et elle était littéralement enchantée par l'endroit. Du lierre grimpait sur le kiosque, mêlé à des rosiers aux grosses fleurs éclatantes et à quelques branches odorantes de chèvrefeuille. Ainsi envahi par la végétation, l'ensemble aurait pu sembler à l'abandon ; au contraire, l'édifice dégageait une atmosphère chaleureuse, une aura presque magique, ainsi dressé entre les parterres de tulipes multicolores et de trèfles en fleur. L'ambiance était calme et propice à la méditation.
Claire observa Louis, qui était allé s'assoir sur l'une des barrières qui faisaient le tour du kiosque. Il avait de nouveau les yeux fermés, comme s'il était entré en connexion avec la nature autour de lui.
Cela faisait presque un mois qu'elle travaillait à ses côtés, maintenant. De jour en jour, elle remarquait ses progrès, voyait une avancée dans son combat contre la maladie. Elle voyait bien qu'il faisait des efforts pour s'ouvrir au monde. Au cours des deux dernières semaines, il semblait même s'être lié d'amitié avec Emelyn. Lorsque cette dernière était de passage à l'hôpital, ils s'installaient souvent tous les deux sur le rebord de la fenêtre, au fond de la salle commune. Il était plutôt rare qu'ils échangeassent un mot, mais Claire sentait que cela faisait tout de même du bien au jeune homme d'avoir un peu plus de relations sociales. Que quelqu'un d'autre que sa mère lui témoignât de l'attention ne pouvait que l'aider.
Dans tous les cas, Claire ne pouvait être plus confiante. Cette petite virée sous le chaud soleil de juillet, alors qu'un demi-sourire allégeait le visage creusé et fatigué de Louis, était à ses yeux un superbe et courageux pas en avant.
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Aaaaahhh les gens j'ai un truc trop bien à vous raconter depuis le dernier chapitre ! (Ceux qui me suivent sur Snapchat sont déjà au courant mais je vais me faire une joie de répéter. C'est trop trop beau.) (Attention note d'auteur racontage de vie.)
Comme vous le savez peut-être, j'ai participé aux concours lancés cet été par @LaPlumeEncree (que je n'arrive pas à identifier mais à qui je fais des gros coucous hehe). Vous vous demandez sûrement pourquoi je vous en parle. Bah, je vous en parle parce que c'est troooop trop bien.
L'une de mes nouvelles (que je n'ai pas postée sur Wattpad, donc que vous ne connaissez pas) va être éditée au format numérique. Ui ui, y a des trucs à revoir avec l'éditrice, mais c'est pour relativement bientôt.
Mouehe, c'est juste beaucoup trop génial. Je vous tiens évidemment au courant de l'avancée de tout ça !
(PS : Je vous remercie aussi pour vos petits messages suite à mon opération de mardi, ça s'est super bien passé, tout va bien. o/)
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Alogie
General FictionDans leurs dossiers, il n'était qu'un nombre. Le numéro 412. Le 412e patient de cet hôpital, parmi tant d'autres. Mais pour elle, il était Louis. Un garçon normal, certes pas très bavard. Un être humain à part entière. Alogie (n.f.) : Trouble du l...