Claire étira longuement son dos, les bras levés au-dessus de sa tête. Elle consulta sa montre. Il n'était pas loin de vingt heures, et elle était toujours à l'hôpital. Attablée en salle du personnel depuis déjà près d'une heure et demi devant un livre de psychologie, elle n'avait pas vu le temps passer.
Elle se releva et remballa ses affaires. À cette heure, l'équipe du soir avait déjà amené son dîner à Louis ; elle quitta donc le bâtiment sans demander son reste et retrouva sa voiture sur le parking.
En s'asseyant derrière le volant, elle jeta un coup d'œil à son reflet dans le rétroviseur. Elle avait l'impression que les marques de fatigue sur son visage avaient disparu. D'habitude, après une longue journée de travail comme celle-ci, elle était exténuée ; mais ce soir-là, elle se sentait de bonne humeur et reposée.
Elle quittait tout juste le parking lorsqu'elle reconnut une silhouette qui lui était familière sur le trottoir. Elle ralentit en arrivant à son niveau et baissa la vitre côté passager.
- Muriel ? héla-t-elle.
La quarantenaire sursauta, tourna la tête vers elle et eut un faible sourire.
- Oh, bonsoir Claire.
- Vous êtes à pied aujourd'hui ? reprit l'infirmière.
Elle avait pourtant remarqué que la mère de Louis venait toujours lui rendre visite dans une petite voiture verte qui ressemblait étrangement à une grenouille montée sur des roues.
- Hum, oui, lui répondit Muriel, visiblement un peu gênée. Mon mari en avait besoin ce soir, pour emmener la petite chez le pédiatre.
- Vous voulez que je vous ramène ? proposa Claire.
L'idée que cette pauvre femme rentre seule chez elle ne lui plaisait guère. Même s'il ne faisait pas encore totalement nuit, certaines ruelles étaient peu fréquentables à une heure avancée de la soirée.
- Oh, c'est très aimable à vous Claire, mais vous savez, je ne veux pas...
La jeune femme s'arrêta au bord du trottoir.
- Allez, montez.
Avec un large sourire de reconnaissance, Muriel ouvrit la portière et s'installa sur le siège passager.
Les rues étaient désertes, et le soleil avait bien entamé sa descente vers l'horizon, teintant le ciel de rose et d'orangé.Voulant engager une conversation quelconque, Claire jeta un rapide regard à Muriel et remarqua qu'elle triturait nerveusement ses doigts fins.
- J'ai l'impression que Louis va de mieux en mieux, tenta-t-elle.
Face à une absence totale de réponse, Claire essaya une autre approche.
- Je crois que j'ai une idée, pour l'aider. Je ne suis pas totalement sûre que cela améliorera vraiment son état, mais je suis confiante.
Muriel posa sur elle un regard las et fatigué, mais intéressé. Ses yeux vairons brillaient dans la lumière déclinante du jour. Claire se racla la gorge.
- Il y a quelques semaines, expliqua-t-elle, vous m'avez raconté l'enfance de Louis.
La mère de famille hocha la tête.
- Oui, je m'en souviens.
- Vous avez mentionné son meilleur ami, continua Claire en gardant les yeux fixés sur la route. Il s'appelait Alexandre, c'est bien cela ? Je me suis dit que si l'on parvenait à le retrouver et à prendre contact avec lui...
Muriel lui coupa la parole d'un petit rire triste.
- Vous êtes adorable, Claire, et j'apprécie grandement tout ce que vous faites pour Louis. Mais j'ai déjà essayé plusieurs fois de reprendre contact avec Alexandre. Je me suis dit moi aussi que cela aiderait Lou à renouer avec son enfance heureuse, et j'espérais grandement que cela l'aide à surmonter la maladie. Mais...
Elle marqua une pause et secoua la tête.
- Alexandre Dechambe semble tout bonnement avoir disparu.
Le sang de Claire sembla se glacer dans ses veines. Ses mains se crispèrent sur le volant et la voiture fit une petite embardée sur la gauche.
- Tout va bien ? demanda Muriel, dont le visage avait soudainement pâli.
- Alexandre Dechambe ? répéta Claire après avoir sagement replacé le véhicule du côté droit de la route.
- Hum, oui, il me semble bien que c'était son nom de famille. Pourquoi ? Que se passe-t-il ?
Des flashs de souvenirs s'imposaient à Claire les uns après les autres. Leur rencontre. Leur premier baiser. Ses transperçants yeux noirs. La sensation de sa peau sur la sienne. Et puis, cette soirée, le vingt-quatre septembre 2011. Ses vingt-trois ans. Le vent dans ses cheveux, la nuit. L'accident. La voiture brûlée, les gyrophares aveuglants. La voix de Yannis pour la rassurer, pour la sauver du froid et des ténèbres.
- Claire, êtes-vous sûre que...
L'infirmière se reconcentra sur la route.
- Tout va bien, annonça-t-elle d'une voix forte, autant pour convaincre Muriel que pour se convaincre elle-même. C'est juste que... Je le connais. Enfin, je le connaissais. Je ne sais pas. Cela fait bien longtemps que je n'ai plus de ses nouvelles.
La faible lueur d'espoir qui s'était allumée dans les yeux de Muriel face à la révélation de Claire s'éteignit. Oui, Alexandre Dechambe semblait véritablement avoir disparu, pour de bon.
Le reste du trajet se fit dans le silence. La maison dans laquelle Louis avait passé son enfance se trouvait à l'autre bout de la ville, à plus d'une heure de marche de l'hôpital.
- C'est juste ici, à droite.
Claire suivit cette dernière indication et s'engagea dans la petite rue à leur droite. De part et d'autre de la route s'alignaient des petites maisons mitoyennes, toutes identiques. Elles ressemblaient vaguement à des maisons de corons, à l'exception que les murs étaient faits de pierre blanche et non de brique rouge. Sur les trottoirs étaient alignés de grands platanes dont les branches se rejoignaient presque au-dessus de la route.
Claire roula sur quelques mètres encore puis s'arrêta au niveau de la façade qui portait le numéro dix-huit. Sa passagère déboucla sa ceinture mais marqua un arrêt avant de sortir, la main posée sur la poignée.
- Vous souhaitez entrer pour prendre un café ? Un apéritif ?
- Non merci, déclina poliment Claire. Je n'habite pas très loin d'ici, mais je suis lessivée. Je préfère rentrer et me reposer, si cela ne vous dérange pas.
- Oh ! Allez-y, rentrez chez vous, si vous êtes fatiguée. Vos journées doivent être sacrément longues. Et puis, nous aurons d'autres occasions de se revoir, n'est-ce pas ?
Claire sourit.
- Oui, bien sûr. Muriel ! cria-t-elle une dernière fois avant que cette dernière ne referme la portière.
- Oui ?
- Je vous promets que je retrouverai Alexandre.
« Et ce même si ces recherches doivent me tuer psychologiquement », ajouta-t-elle en son for intérieur.
- ○ -
Hey hey ! Comment allez-vous ?
Un petit chapitre tout en révélations haha. Vous vous y attendiez ? À votre avis, Claire réussira-t-elle à renouer avec cet homme qui a brisé sa vie ?
À la semaine prochaine les enfants xx
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Alogie
Ficción GeneralDans leurs dossiers, il n'était qu'un nombre. Le numéro 412. Le 412e patient de cet hôpital, parmi tant d'autres. Mais pour elle, il était Louis. Un garçon normal, certes pas très bavard. Un être humain à part entière. Alogie (n.f.) : Trouble du l...