XXVII ○ Louis Valienne, ça te dit quelque chose ?

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- Alexandre ? Comment ça Alexandre ?

Claire ignora Yannis et jaugea l'homme face à elle. Il était là. Alexandre Dechambe était revenu. Il se tenait, en chair et en os, à moins de deux mètres d'elle.
Il avait l'air mal à l'aise. Il devait certainement penser s'éclipser rapidement de la chambre, et Yannis avait fait tomber à l'eau l'intégralité de ses plans d'évasion.

Claire le toisait, les bras croisés sur sa poitrine, attendant des explications.

- Pas ici.

La voix d'Alexandre était dure et sèche. Il fixait Claire intensément. D'un discret coup du menton, il désigna la porte.

- Quelqu'un peut m'expliquer ce qui se passe ?

- Plus tard, Yannis, rétorqua Claire en se levant. Je t'expliquerai plus tard.

Elle suivit Alexandre dans le couloir, fermant délicatement la porte derrière eux.

Un frisson courut le long de son dos lorsqu'elle se retourna. Elle avait devant elle l'homme qui avait alimenté tant de ses cauchemars, celui qui aurait pu, après avoir illuminé sa vie, définitivement la briser.
Des sentiments incompréhensibles se bousculaient en elle. De la colère, de la peur, de l'appréhension, de la tristesse, de la nostalgie.

Sa nuit de recherches sur Internet effleura ses pensées. Ces retrouvailles, elle les avait attendues.
(aider Louis il faut aider Louis)
Mais maintenant qu'il était là, elle ne voulait plus rien avoir à faire avec lui. Elle voulait simplement qu'il disparaisse de sa vie à tout jamais, comme il l'avait si bien fait six ans auparavant.

- Que veux-tu savoir ?

La voix d'Alexandre résonna dans le silence comme un coup de massue. Claire sonda ses yeux noirs, espérant réussir à lire en lui, mais son visage était impassible.
Elle ferma les yeux et réfléchit. Ses mains étaient moites, elle ne voulait pas de réponses, pas d'explications. Son deuil était fait, elle ne voulait pas se replonger dans ces sombres jours. Non, elle préférait l'ignorance.
Son objectif premier était d'aider Louis. Puis elle ne repenserait plus à Alexandre. Tout se passerait au mieux.

- Rien. Je ne veux rien savoir du tout.

Les yeux noirs qui lui faisaient face s'écarquillèrent presque imperceptiblement. Il ne s'attendait visiblement pas à cette réponse. Après quelques secondes de réflexion, il finit par hausser les épaules. Claire s'interdisait de relever toutes les mimiques qui passaient sur son visage, ces mimiques qu'elle avait connues par cœur.

- Comme tu voudras, dit-il en tournant les talons. Adieu, Claire.

La jeune femme déglutit. Le visage morne de son patient tournait dans son esprit comme un triste cerf-volant ballotté dans tous les sens.

Elle avait promis.

Elle ferma les yeux, rassemblant tout son courage pour prononcer quelques mots. À cet instant, elle ne voulait de tout son être qu'une seule chose : qu'Alexandre s'en aille.

Mais elle ne pouvait pas faire ça à Louis.

La silhouette d'Alexandre s'éloignait déjà dans le couloir. Dans quelques secondes, il aurait disparu de son champ de vision, disparu de sa vie entière, et cette fois-ci sûrement pour toujours. Quelques secondes. Elle prit une grande inspiration, mais aucun son ne voulait franchir la barrière de ses lèvres.

"Tu ne vas quand même pas laisser passer ça", pensa-t-elle avec amertume.

Pendre son élan. Courir, courir encore. S'élancer dans le vide.

- Louis Valienne, ça te dit quelque chose ?

La silhouette de l'homme se figea au bout du couloir. Intérieurement, Claire sourit ; elle avait réussi, et elle semblait même avoir pris l'avantage. Un partout, balle au centre.

- Comment...

Il se retourna lentement. L'air froid qui planait sur son visage s'était effacé, laissant place à une incompréhension grandissante. Le nom de Louis devait raviver en lui de nombreux souvenirs, cela se voyait dans ses yeux.

- Comment connais-tu...

- Il est ici, le coupa Claire. Interné au service psychiatrique, depuis plusieurs années.

Elle lui répéta tout ce que Muriel lui avait raconté ; leur enfance commune, l'enfermement progressif de Louis sur lui-même. Le jeune Louis avait décidé de couper les ponts avec son meilleur ami. Elle ne savait pas exactement pour quelles raisons, mais elle était certaine que c'était à cause de sa maladie.

- Se confronter à toi devrait l'aider à aller mieux, finit-elle sans lâcher Alexandre des yeux. Je suis quasiment sûre que cela fonctionnera, que ce serait un élément déclencheur qui le pousserait à combattre ses démons intérieurs.

Il haussa les sourcils. Claire devinait que les paroles rapportées par Muriel ne lui plaisaient pas. Peut-être aurait-il préféré qu'elle ne mentionne jamais son existence, voire qu'elle l'oublie complètement.

S'il le pensait vraiment, il préféra visiblement le garder pour lui, et n'en dit rien.

- Attends, tu es en train de me dire que Louis est devenu taré ? Que c'est pour ça qu'il a arrêté de me parler du jour au lendemain ? Il s'est fait interner ?

- Il est schizophrène, Alexandre, répliqua Claire d'un ton condescendant. Il n'y peut rien.

Elle soupira face à son absence totale de réaction. Son air méfiant la fatiguait ; il ne la prenait pas au sérieux, c'était évident.

- Écoute, passe au-dessus de ce qu'il s'est passé il y a six ans. Je ne te demande pas d'explications, je n'en veux pas.

"Enfin, pas tout à fait vrai", ajouta-t-elle pour elle-même. Elle était surtout effrayée par ce qu'il pourrait lui révéler, et l'impact que ses explications pourraient avoir sur sa vie. S'il avait été jusqu'à changer d'identité... Il avait été admis à l'hôpital sous le nom de Bastien, du moins était-ce le prénom qu'il avait donné à Yannis.
Bastien. Quelle drôle d'idée - elle sourit intérieurement -, ce prénom ne lui allait pas du tout.

- Appelle-toi Bastien si tu veux, reprit-elle, je m'en fiche. Tout ce que je te demande, c'est de faire quelque chose pour lui. Aller le voir, lui parler, lui rappeler votre enfance... Voir que tu ne l'as pas oublié et que tu tiens toujours à lui, malgré tout ce qu'il s'est passé, l'aiderait beaucoup à s'en sortir.

- Je ne tiens plus à lui, Claire, rétorqua Alexandre d'un ton sec. Cela fait douze ans qu'il m'a laissé tomber. Douze ans.

- S'il te plaît.

Alexandre ferma les yeux, se pinçant l'arête du nez. Il finit par soupirer. Son regard avait changé, toute lueur de méfiance et d'animosité y avait disparu.

- C'est vrai que j'aimerais bien revoir Muriel. Elle était un peu comme ma seconde maman...

Claire sourit. Le combat était gagné.

- ○ -

Huhuhu, Alexandre va donc retrouver Louis incessamment sous peu ! Comment appréhendez-vous ces retrouvailles ? ;)

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