XIII ○ Alex avait mystérieusement disparu.

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Claire s'assit lourdement derrière le volant de sa voiture. Muriel lui avait raconté toute leur histoire, toute l'histoire de la vie mouvementée de Louis, de son enfance à aujourd'hui, dans les moindres détails.

Alors qu'elle roulait en direction du supermarché le plus proche pour faire ses courses hebdomadaires, elle laissa son esprit vagabonder ; il fallait qu'elle leur trouve une solution, qu'elle fasse tout son possible pour aider cette famille complètement brisée par la maladie.

- ○ -

La journée passa relativement rapidement. La douloureuse image de Louis, avec ses joues creuses et ses yeux vides et malades, n'avait pas quitté Claire une seule seconde ; au milieu de ses courses, dans sa cuisine lorsqu'elle se préparait un déjeuner, dans la voiture alors qu'elle amenait Achille chez le vétérinaire pour ses rappels de vaccination. Les deux prunelles grises du jeune homme semblaient ancrées dans son esprit et ne plus vouloir la lâcher.

Elle y avait pensé littéralement tout le jour durant, retournant dans tous les sens la situation. Mais quand vint l'heure de s'abandonner aux bras de Morphée jusqu'au lendemain matin, elle n'avait presque aucune once de solution au problème.

Elle n'était sûre que d'une chose : si elle voulait que l'état de Louis s'améliore, ne serait-ce qu'un petit peu, il fallait qu'elle trouve un moyen d'entrer en contact avec son ancien meilleur ami. Eux qui étaient si proches, cet Alexandre pourrait forcément faire quelque chose pour l'aider...
Mais comment le retrouver ? Claire n'avait ni nom, ni adresse, ni même une quelconque description physique qui pourrait la mettre sur la voie. Autant essayer de chercher une aiguille dans une botte de foin ; le combat était perdu d'avance.

Elle soupira et laissa sa tête tomber contre son oreiller en fermant les yeux. Elle ne savait pas quoi faire, mais elle n'abandonnerait pas Louis et le soutiendrait jusqu'au bout de son combat.

- ○ -

Elle est dans la voiture d'Alex. Leurs cheveux volent dans le vent derrière eux. Sa voiture est décapotable, et elle trouve génial de faire des balades comme celles-ci, juste tous les deux, en tête à tête avec la nuit.

Les yeux bruns d'Alexandre quittent un instant la route pour la regarder, et il lui offre le plus éclatant des sourires, ce sourire qui la fait craquer depuis le début. Elle lui sourit en retour et tourne la tête pour regarder le paysage campagnard défiler à sa droite.

Ce soir, elle a vingt-trois ans. Ils sont en route pour aller chez ses parents. Pour fêter son anniversaire, oui, mais aussi pour leur présenter Alex. Ils ne l'ont encore jamais vu, et elle espère vraiment que la rencontre se passera bien et qu'ils l'apprécieront. Elle ne sait pas ce qu'elle ferait si jamais ils ne l'aimaient pas. Comment réagir dans ce genre de situation ? Quel parti prendre ? Elle secoue la tête pour chasser ces pensées. Mieux vaut ne pas y penser. C'est un garçon adorable. Tout se passera bien. Tout se passera extrêmement bien.

Il fait nuit noire. Les chiffres lumineux du tableau de bord affichent vingt et une heures trente. Un fin quartier de lune brille faiblement dans le ciel sombre, entouré de quelques étoiles discrètes. C'est la seule source de lumière à l'extérieur. Dans la voiture, seules deux ou trois lumières rouges sont allumées sur le tableau de bord.

– Tu peux dormir un peu si tu veux, Claire, dit Alex d'une voix forte pour se faire entendre par dessus le vent.

La voix de John Lennon à la radio berce Claire doucement, même si elle ne l'entend que faiblement à cause de l'air qui siffle fort dans ses oreilles. Elle sent ses paupières devenir de plus en lourdes, et elles finissent par se fermer alors qu'elle appuie sa tête en arrière contre le siège.

Lorsqu'elle se réveille, elle se sent froide. Humide. Où est-elle ? On dirait de l'herbe. Une lourde odeur de terre mouillée flotte tout autour d'elle. Il fait froid. Son corps ne lui répond plus, comme s'il était entièrement congelé, comme si son âme se retrouvait piégée à l'intérieur d'une enveloppe de glace. Elle ne parvient pas à bouger ne serait-ce qu'un doigt. Elle ne peut même pas ouvrir les yeux, ses paupières semblent scellées l'une à l'autre.

Un hurlement de sirène résonne dans ses oreilles. Que se passe-t-il ? Elle distingue des lumières, rouges et bleues, qui tournent derrière ses yeux clos. Il y a des gens qui crient autour d'elle. On dirait qu'ils sont beaucoup. Peut-être une dizaine, peut-être plus.

Apparemment, ils veulent sortir quelqu'un de quelque chose. Elle ne saisit pas ce qu'ils disent exactement, il y a trop de bruit. Ses oreilles bourdonnent. Parlent-ils d'elle ? Elle se sent soudainement soulevée de terre, puis serrée contre quelque chose de chaud. Quelqu'un l'a prise dans ses bras. Elle ne parvient toujours pas ouvrir les yeux. Qui est cette personne ? Alex ?

Les bruits tout autour d'elle s'effacent peu à peu, comme si du coton bouchait ses tympans pour la protéger du monde extérieur et hostile. Elle est désormais plongée dans le noir et le silence total. Ses paupières se descellent et s'ouvrent, mais elle ne voit plus rien, elle n'entend plus rien. Rien d'autre que le bruit sifflant de sa propre respiration.

Au loin, une lumière blanche et éclatante s'allume et l'attire irrésistiblement. Est-elle... morte ? Pourquoi ? Comment ? Et où est Alex ? L'attend-il de l'autre côté de la lumière ? Elle se sent flotter, comme sur un nuage, aussi légère qu'une plume. Elle est incroyablement bien, reposée, heureuse, sereine.

Une grande silhouette noire se découpe en contre-jour. Elle ne reconnait pas le corps de son petit ami. Alex est plus grand, plus fin.

– Je ne peux pas te rayer de ma vie, c'est impossible.

Non, définitivement, il ne s'agit pas d'Alex. On dirait plutôt la voix de Yannis. Que fait-il ici ?

– Je t'aime, Claire, et je crois que je t'aimerai toujours...

Elle a l'impression qu'il lui tend la main. Il la pousse à l'attraper, ce qu'elle fait sans aucune hésitation, avec une totale confiance.

– Tiens bon, chuchote calmement Yannis à son oreille. Tiens bon Claire, je suis là pour toi. Je vais te sortir de là.

- ○ -

Claire se réveilla en sursaut. Il était trois heures du matin, et elle était en sueur. Encore ce cauchemar, cet horrible et récurrent cauchemar.

Alexandre, son premier petit ami sérieux. Le soir de son vingt-troisième anniversaire, ils étaient en route pour le présenter à sa famille. Sauf qu'ils n'arrivèrent jamais chez ses parents, cette nuit-là.

Elle ne se souvenait plus de ce qu'il s'était passé, ni comment cela s'était déroulé. Elle se souvenait uniquement de s'être réveillée dans un fossé, sur le bas-côté d'une route de campagne, non loin d'une carcasse fumante de voiture. C'était un certain Yannis qui était passé par là en pleine nuit et avait prévenu les secours, le même Yannis qui allait devenir deux années plus tard son petit ami. Il lui avait sauvé la vie, ce soir-là.

Du reste de la voiture, les pompiers n'avaient extrait aucun corps. Alex avait mystérieusement disparu ce soir-là, et seul son souvenir revenait de temps à autre hanter Claire dans ses rêves.

- ○ -

Bonjour bonjour !
Cette fois, c'est sur le passé de Claire qu'on en apprend un peu plus. Comprenez-vous, maintenant que vous savez qu'il lui a sauvé la vie, cet attachement sans limites de Yannis à Claire ?
[Oui oui, ne vous inquiétez pas, Louis revient dès samedi prochain avec un de mes chapitres préférés. :)]
Passez un bon weekend, et bonne chance à tous ceux dont les examens approchent !

AlogieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant