Louis s'assit sur le rebord de la – sa – fenêtre, en essayant de ne pas penser à tous les autres malades qui se trouvaient dans la pièce.
Oui, s'ils sont ici, c'est parce qu'ils sont malades.
Comme toi.
Toi aussi, tu es malade.
Mais il y a une différence entre toi et eux.
Toi, tu es pire.
Encore plus fou.
Eux, ils ont encore un espoir de sortir.
Certains sortiront même bientôt.
Ils finiront par sortir d'ici, par retourner dans le vrai monde.
Toi, tu resteras coincé dans cet hôpital.
Pour toujours.Louis ferma les yeux, priant en boucle silencieusement pour qu'elles le laissassent tranquille pour la journée. « Partez », répétait-il dans sa tête sans arrêt. « Partez. Partez. Partez, partez, partez. »
En réponse, elles rirent et se firent encore plus présentes. Juste pour le pousser à bout, comme d'habitude. Il se forçait à les ignorer, essayait de rejoindre son havre de paix tout d'or et de calme baigné de soleil, mais rien n'y faisait ; elles ne voulaient plus le laisser en paix.
Ses paupières se rouvrirent, et il se perdit dans la contemplation du parc au dehors. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas demandé à sortir se promener. En fait, il n'était même pas sûr d'en avoir fait la requête, ne serait-ce qu'une fois ou deux. Le vieil infirmier qui s'occupait de lui encore quelques jours auparavant prenait parfois l'initiative de l'emmener prendre l'air. Louis aimait bien ces moments. Le vieux monsieur ne parlait pas. Il se retrouvait alors seul avec la nature – une nature apprivoisée par l'homme, mais tout de même agréable.
Il n'était pas sûr que si sa nouvelle infirmière – comment se prénommait-elle déjà ? Claire, Clarisse ? Il ne s'en souvenait plus. Enfin, peu importait. Il n'était pas sûr que si elle l'emmenât dehors, ces sorties soient comme avant. Elle essaierait sûrement de combler le silence d'une manière ou d'une autre. Et Louis avait besoin de ce silence. Surtout dans des moments comme ceux-ci. Les seuls moments pendant lesquels il avait la possibilité de se ressourcer vraiment, dans la réalité. De faire réduire le volume et la pression que prenaient les voix à l'intérieur de son crâne.
Nous ne partirons jamais.
De l'autre côté de la paroi de verre, les arbres scintillaient d'un vert éclatant. Le soleil de juillet brillait haut dans le ciel. Il n'y avait aucun nuage à l'horizon, tout était clair, bleu azur et vert bouteille, lumineux. Le parc était paisible et en harmonie. Même de là où il était, enfermé, Louis percevait son équilibre, précaire mais puissant. L'équilibre qui permettait à la nature de se développer, sans l'aide de personne.
Il déposa son front contre la vitre – ce qui lui valut un rapide mais douloureux élancement – et immédiatement le rebord de la fenêtre disparut. Comme s'il entrait en communion avec la nature au dehors, il fut transporté hors de l'hôpital.
Il se tenait maintenant debout, au milieu de la forêt. La sensation du sol meuble et humide sous ses pieds nus était agréable. Les arbres autour de lui faisaient au moins trois fois sa taille et le surplombaient de leurs immenses branchages feuillus. Il se sentait ridicule, au milieu de cette nature surdimensionnée. Et pourtant, il avait au creux de sa poitrine le sentiment enivrant d'en faire partie.
Sur sa droite, un chevreuil passa à la hâte en sautillant. Louis se mit à courir pour le suivre. Des mottes de terre volaient derrière lui à chaque enjambée. Il courait, les yeux fixés sur le derrière blanc du cervidé devant lui. Le vent soufflait dans son dos et semblait le pousser en avant. Il avait des ailes. Il était libre.
Le chevreuil bondissait entre les racines des arbres, Louis courait sur le sentier de terre à ses côtés, un grand sourire aux lèvres. Ils arrivèrent bien vite au bord d'une falaise escarpée. Non loin d'eux, l'eau d'une petite rivière s'en jetait pour atterrir dans un lac six mètres plus bas. La cascade donnait une atmosphère magique à l'endroit. Louis pensa aux légendes, celles qui racontaient que des grottes secrètes renfermant des trésors inconnus étaient souvent cachées derrière le flot ininterrompu d'une cascade. Il irait bien y faire un tour, un jour ou l'autre. Juste pour voir si ces légendes disaient vrai.
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Alogie
General FictionDans leurs dossiers, il n'était qu'un nombre. Le numéro 412. Le 412e patient de cet hôpital, parmi tant d'autres. Mais pour elle, il était Louis. Un garçon normal, certes pas très bavard. Un être humain à part entière. Alogie (n.f.) : Trouble du l...