XXIX ~ Muriel ?

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Muriel se laissa lourdement tomber dans l'une des chaises en plastique bleu du hall de l'hôpital. Elles étaient aussi inconfortables que des planches de bois, et la mère de famille n'aimait pas s'y assoir. Mais cela faisait déjà dix minutes qu'elle attendait le docteur Asimov ; la secrétaire l'avait contacté, mais Muriel devait attendre qu'il finît son rendez-vous avant de monter lui ouvrir la chambre de Louis. C'était comme cela à chaque fois qu'elle venait : elle devait attendre, se plier aux disponibilités du médecin en chef. Elle ne pouvait même pas voir son fils quand bon lui semblait. À cette pensée, son cœur de mère se serra plus qu'il ne l'était déjà. Elle crut le temps d'une seconde qu'elle allait vomir.

Un long soupir s'échappa de ses lèvres pincées. Son Louis, son petit loup, enfermé ici. Il ne sortirait jamais si sa relation avec sa maladie ne s'arrangeait pas, les médecins l'avaient dit. Au fil des années, elle avait vu son fils dépérir dans cet hôpital, sans rien faire pour l'aider. Elle ne pouvait rien faire. L'état de Louis ne s'améliorait pas, et les médicaments semblaient n'avoir aucun effet. Muriel avait fini par se faire une raison ; elle ne verrait plus jamais son fils hors des quatre murs blancs qui le retenaient prisonnier ici.

Elle serra son sac à main contre sa poitrine. Des larmes salées piquaient le fond de sa gorge, mais elle se força à les ravaler. Il fallait qu'elle parût forte aux yeux de Louis. Qu'elle lui montrât que tout allait bien. Qu'elle lui montrât que sa petite maman serait toujours là pour le réconforter, quoiqu'il arrive. Elle ne devait pas craquer, pas maintenant. Elle pourrait s'accorder un moment de faiblesse dans la voiture, au retour - pas trop longtemps non plus, il ne fallait pas inquiéter Pauline en rentrant à la maison. Dans tous les cas, ce n'était absolument pas le moment.

- Muriel ?

La femme releva brusquement la tête. Les personnes à l'hôpital qui connaissaient son prénom se comptaient sur les doigts d'une main, et la voix qui l'avait interpelée lui était inconnue. Une voix grave et rauque. Elle promena ses yeux autour d'elle.

Un jeune homme d'une vingtaine d'années avançait vers elle. En fait, avec sa barbe de trois jours qui lui mangeait la moitié du visage, il semblait plutôt avoisiner la trentaine. Muriel plissa les paupières, scrutant cet inconnu qui l'avait appelée par son prénom. Elle avait la désagréable impression de l'avoir déjà vu quelque part, mais ne se rappelait plus où.

Il ressemblait à Alexandre Dechambe, l'ancien meilleur ami de Louis. Une fugace lueur d'espoir s'alluma quelque part en elle, mais elle la réfréna vite. Ce ne pouvait être possible. Et pourtant...

Quand il ne fut plus qu'à un pas, il n'y eut plus aucun doute. Elle en était sûre, ces yeux noirs et rieurs ne pouvaient appartenir qu'au petit garçon de dix ans qu'elle considérait alors comme son second fils. Tout ces goûters d'anniversaire, ces après-midi de jeu, tout lui revenait en mémoire. Des flashs heureux de souvenirs lointains.

- Alexandre..., souffla-t-elle en se levant, les mains tremblantes.

Le jeune homme se rua dans ses bras, et ce même s'il la dépassait de plus de dix centimètres. Elle referma ses bras dans son dos, contenant avec difficulté ses larmes. Il était là. Alexandre était là. S'il acceptait d'aller voir Louis... Tout, tout rentrerait dans l'ordre. Tout pourrait se passer comme elle l'avait si souvent rêvé.

Et Louis finirait par rentrer à la maison.

- Je ne pensais pas que tu m'avais manqué autant, chuchota Alexandre dans le creux de son oreille.

Il se recula, un sourire sur les lèvres. Ses yeux étaient humides, il semblait tout aussi ému qu'elle.

- Tu ne portes plus tes lentilles.

Muriel sourit et secoua la tête. Il se souvenait même de l'époque durant laquelle elle avait essayé de cacher ses yeux en portant des lentilles de contact colorées. Cela remontait pourtant à plusieurs années, le paroxysme d'un complexe qui durait depuis bien plus longtemps. Louis et Alexandre n'avaient encore que treize ou quatorze ans. Elle avait enterré ses complexes à l'entrée de Louis au lycée.

- Lou a fini par me faire comprendre qu'il valait mieux que j'arrête de me cacher comme je l'ai fait.

À l'évocation de ce prénom, un étrange silence s'installa entre eux. Alexandre le brisa le premier.

- Justement...

Il se gratta nerveusement la tête. Muriel essaya de lire dans ses yeux ce qu'il pouvait bien avoir en tête, mais il restait impassible.

- Il paraît qu'il est ici, continua Alexandre. Qu'il est... malade.

Le dernier mot eut du mal à franchir ses lèvres. Il avait hésité.

Muriel se sentit mal à l'aise, tout à coup, sans vraiment savoir pourquoi. L'atmosphère s'était tendue. Alexandre n'avait-il jamais pardonné à Louis son abandon ? C'était possible. Mais...

Elle secoua la tête, soudainement emplie d'un puissant sentiment de désespoir. Il ne pouvait pas en vouloir à Louis, il n'en avait pas le droit. Louis n'y était pour rien. Ce n'était pas de sa faute. Il devait lui pardonner. Il n'avait pas le droit de s'en prendre à lui, pas le droit...

- Il a besoin de toi, finit-elle par prononcer.

Son cœur battait follement sous sa poitrine. Elle avait l'impression d'être sur le point de tourner de l'œil d'un instant à l'autre.

- Tu-Tu peux l'aider, balbutia-t-elle, pantelante. Te voir, cela l'aidera peut-être à...

- Eh, du calme.

Alexandre posa ses mains sur les siennes, et Muriel se sentit immédiatement apaisée. Sa voix était douce et calmait les douloureux battements de son cœur.

- On me l'a déjà fait ce speech, pas la peine de te mettre dans un état pareil.

Elle lui lança un regard interrogateur. Ce speech ? Comment quelqu'un avait-il pu déjà lui dire que Louis avait besoin de lui ?
Du coin de l'œil, elle remarqua une silhouette familière de l'autre côté de la pièce. Adossée à un mur, Claire lui sourit ; Muriel le lui rendit, soulagée. Tout s'expliquait.

Entre-temps, Alexandre lui avait glissé un morceau de papier dans la main, sur lequel était écrite une suite de chiffres.

- Tu m'appelleras le jour où je pourrais lui rendre visite, déclara-t-il, tout sourire. Cela me ferait plaisir de le revoir.

Il la serra une dernière fois dans ses bras puis s'éloigna, et sortit de l'hôpital sans regarder derrière lui.
Le cœur de Muriel s'était allégé, et elle ne pouvait s'empêcher de sourire. Alexandre était revenu. Louis allait s'en sortir, elle en était certaine.

- ○ -

Hehehe, la confrontation arrive à grands pas les enfants, vous n'êtes point prêts. 😈
Qu'avez-vous pensé de ce petit aparté point de vue de Muriel ?

AlogieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant