Claire sourit une nouvelle fois à Louis, l'encourageant à manger. Certes, la purée servie ce midi semblait bien loin de sortir d'un restaurant gastronomique étoilé, mais il devait avaler quelque chose.
Il finit par saisir sa fourchette entre ses doigts fins, et amena un peu de purée à ses lèvres en tremblant. Claire sourit, confiante.
Elle profita du fait qu'il avalait docilement son assiette en silence pour observer la pièce dans laquelle elle se trouvait. Cette dernière se présentait exactement comme les chambres du troisième étage. Un petit bureau de bois verni, poussé contre le mur sous l'unique fenêtre et accompagné de la chaise sur laquelle elle était assise, représentait à peu près le seul mobilier. Un lit d'une place, composé d'un sommier dur et d'un matelas fatigué, occupait le coin opposé, près de la porte.
La seule différence avec les chambres du troisième était la décoration. Ou plutôt, l'absence de décoration. Les patients qui logeaient à l'hôpital avaient leur chambre attitrée durant tout leur séjour, et avaient donc la possibilité de la décorer à leur guise : dessins, posters, lettres... Mais les murs de la chambre de Louis, peints d'un blanc sale presque gris, étaient entièrement nus, donnant à la pièce une atmosphère terne et triste.
Et, tout bien réfléchi, cette atmosphère s'accordait à la perfection au personnage qui vivait ici. Claire reposa ses yeux sur Louis et l'étudia plus attentivement.
Ses joues creuses étaient recouvertes par une courte barbe de trois jours qui, ajoutée au haut ample et au jogging bleu foncé qu'il portait, lui donnait un air négligé. Ses cheveux emmêlés se dressaient en épis sur son crâne dans toutes les directions. Des orbites profondes cachaient des yeux d'un bleu si froid et clair qu'ils semblaient gris, et surplombaient de larges cernes. Sous la lumière crue de l'ampoule qui tombait du plafond, sa peau pâle laissait apparaître ses os par transparence, en particulier au niveau de ses articulations. Il ressemblait presque à un fantôme – le fantôme de celui qu'il avait certainement été quelques années auparavant.
Son apparence était tellement fatiguée qu'à vingt-sept ans, il en faisait déjà plus de trente-cinq.
Lorsqu'elle revint à elle après ces rapides observations, elle s'aperçut que Louis était de nouveau absent. Droit comme un I sur le lit, ses mains reposaient sur le plateau-repas alors que ses yeux, grand ouverts, se perdaient dans le vide entre eux. La fourchette était retombée dans la purée et avait au passage éclaboussé le bord de l'assiette. Il en avait même un peu sur le bout de l'un des doigts de sa main gauche.
Face à l'expression hagarde qui planait sur son visage, Claire sut immédiatement que son esprit s'était échappé loin de cette chambre d'hôpital.
– Louis ?
Aucune réponse. Il était reparti, et ne l'entendait plus.
Elle soupira et récupéra le plateau, qu'elle posa avec précaution sur le bureau. Avec des gestes doux, elle allongea Louis sur le lit. Son corps frêle semblait si fragile qu'elle craignait de lui casser quelque chose en serrant trop fort ou en faisant de trop brusques mouvements. Il n'opposa aucune résistance et se laissa faire comme s'il n'était qu'une poupée de chiffon. Une fois allongé, il se tourna de lui-même face au mur et se recroquevilla en position fœtale. Le bas de son t-shirt remontait alors légèrement, découvrant le bas de son dos. Chacune de ses vertèbres ressortait nettement sous sa peau presque transparente. Elle frissonna et se mit à douter qu'il mangeât assez à l'hôpital. Ressentait-il même la faim ?
Elle l'observa une dernière fois et soupira de nouveau, secouant la tête de droite à gauche. Ce pauvre garçon faisait vraiment peine à voir. Travailler à ses côtés serait certainement beaucoup plus difficile que ce qu'elle ne pensait au départ. Il faudrait qu'elle prenne sur elle pour supporter ces absences à répétitions ; s'énerver ne servirait à rien d'autre qu'à le brusquer davantage, ce n'était pas de sa faute si Louis était malade. Si être ignorée de la sorte restait tout de même agaçant, il faudrait s'y faire.
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Alogie
Ficción GeneralDans leurs dossiers, il n'était qu'un nombre. Le numéro 412. Le 412e patient de cet hôpital, parmi tant d'autres. Mais pour elle, il était Louis. Un garçon normal, certes pas très bavard. Un être humain à part entière. Alogie (n.f.) : Trouble du l...