Prologue

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Capitale — Province du diamant 3162

Les colères de l'empereur étaient aussi dévastatrices que rares.

D'ordinaire, les souverains de l'empire des gemmes montraient une certaine retenue en toute circonstance.
Tout d'abord parce qu'ils avaient compris depuis longtemps qu'une rage froide était bien plus effrayante qu'un accès de fureur ; mais également afin de ne pas trahir leurs identités à la face du monde.
En effet, il était bien plus facile de les reconnaitre quand ils ne maîtrisaient plus leurs voix. Sans compter que, dans un mouvement malheureux dicté par la colère, ils risquaient de découvrir leur visage, d'ordinaire dissimulé sous une étoffe opaque.

Voilà pourquoi il était bien inhabituel de voir, dans la salle du trône richement décorée, voler les vases à la valeur inestimable et se cacher les dignitaires derrière les chaises tapissées de velours et d'or.

Dans un nouvel accès de rage, le voile de l'empereur virevolta devant son menton et laissa l'espace d'un instant deviner, comble du scandale, la naissance d'une barbe brune.
Aussitôt, les courtisans détournèrent le regard, observer le visage d'un Jazaris mâle était un crime passible de mort... Mais fort heureusement, le souverain ne remarqua pas l'incident.

Un bibelot supplémentaire s'écrasa sur le mur de marbre sans que sa colère semble s'apaiser. Soudain, il sortit de son fourreau un cimeterre orné de pierres précieuses et l'abattit sur la nuque du messager toujours agenouillé. La tête tomba devant son anim'âme blaireau qui eut juste le temps de rouler des yeux écarquillés avant de trépasser à son tour. Le tigre qui servait d'anim'âme au despote grondait autour de l'estrade, le poil hérissé. Il s'interrompit pour observer, interloqué, la tête immobilisée à ses pieds.

Il miaula en direction de son frère d'âme qui semblait lui aussi s'être calmé.

Le grand chancelier osa un regard derrière le tissu recousu de brocards de son siège.

L'empereur s'apaisait. Il caressa son tigre d'un air absent et finalement se rassit avec la nonchalance qui seyait à son rang.

Depuis quelques mois le monarque paraissait plus grand au chancelier, plus enclin aux pertes de contrôles, et à la voix discrètement plus grave.
Si leur voile les protégeait des attentats, il s'avérait également très pratique pour camoufler les assassinats et autres coups d'État qui se jouaient et se déjouaient dans le palais.
Ils n'étaient pas rares de voir un souverain légèrement différent monter sur le trône un beau matin.
Bien sûr, chacun se gardait bien de l'évoquer, de peur de faire les frais du courroux du nouveau maître des lieux, qui qu'il fût.

C'est ainsi qu'il n'y avait officiellement pas eu à déplorer un seul décès impérial depuis maintenant 157 ans et que la dynastie semblait immuablement bloquée sur le règne du prédateur suprême Jazaris XI.

Chacun s'accommodait de cette longévité record sans un haussement de sourcils, bien que l'individu en face d'eux n'ait pas plus d'une vingtaine d'années. Après tout, personne n'était à l'abri d'une dénonciation et ne disait-on pas que l'empereur se mêlait parfois à la foule des courtisans pour mieux démasquer les complots ?

Le monarque releva la tête :

– Grand chancelier !

L'homme aux mains replètes et au ventre proéminent bondit de l'arrière son siège. Son anim'âme, un ours blanc obèse, préféra conserver la sécurité du futile refuge du meuble de bois.

Il effectua une profonde révérence :

– Votre majesté ?

Jazaris XI renifla avec dédain, il désigna le corps sans vie qui gisait toujours sur les marches :

Symbiose - Les parangons Où les histoires vivent. Découvrez maintenant