Confessions

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Ce fut Hanae qui rompit la première le silence.
Dans le flot de lumière de midis qui inondait la chambre, Syrah remarqua pour la première fois à quel point elle paraissait amaigrie et fatiguée. Ses yeux en amandes étaient profondément enfoncés dans ses orbites creuses et son teint autrefois radieux était terne et jauni. Ses mains, serrées autour de sa tunique, étaient couvertes d'ecchymoses qui cachaient par endroits l'entrelacs de son tatouage.

Il semblait à Syrah qu'une vie entière s'était écoulée depuis qu'ils avaient tous inscrit les runes de leur attribut sur leur corps. Elle se demanda si la tatoueuse aveugle et sa grand-mère étaient toujours de ce monde...

– Il faut... Nous avons quelque chose à vous dire avec... avec Pryham. Et quand nous aurons fini... Je... Enfin, je comprendrais... nous comprendrions... si vous nous ordonniez de partir... Mais écoutez-moi jusqu'au bout s'il vous plaît.

La phrase avait été murmurée sans que Hanae ose regarder qui que ce soit. La courageuse, si prompte aux jurons et aux emportements, n'avait jamais semblé aussi fragile. Pryham, à ses côtés, la fixait avec un mélange d'horreur et de soulagement, comme s'il redoutait autant qu'il espérait ce qui allait venir.

Hanae prit une profonde inspiration puis raconta tout : le message, le mensonge, les prédateurs, Demeria, la bataille... Elle n'omit aucun détail, n'essaya pas de minimiser son rôle ou celui de Pryham. Sa voix était basse, mais ferme et l'on pouvait lire sur ses traits la détermination qui suit les décisions difficiles.

Quand elle eut fini ses épaules s'affaissèrent, comme soulagée d'un poids trop longtemps porté et elle resta les bras ballants, suspendue à la réaction de Syrah.

Celle-ci ne savait pourtant pas comment se comporter : elle était épuisée physiquement et psychologiquement. Elle ne se souvenait pas de la dernière fois où elle avait pu vraiment dormir. Toutefois, Gaïa persistait à lui envoyer des épreuves, peut être pour la punir d'avoir libéré l'ombre.
Deux camps s'affrontaient donc dans son esprit :
Le premier criait vengeance et réclamait la tête de ceux par qui le malheur était arrivé : ils avaient menti, caché et trahi leurs confiances. Cela avait coûté la vie de dizaines de personnes, dont Yuraïa, et failli coûter celle d'Argo, ils devaient être sanctionnés. Quand elle pensait à cela, Syrah les aurait volontiers haïs tous les deux. Elle aurait pu les accabler, même les bannir...
Mais une seconde voix murmurait à son oreille : après tout, elle avait, elle aussi, commis une grave erreur de jugement. Certainement bien plus mortelle que la leur...

Et si Hanae et Pryham n'avaient pas ouvert la porte à Demeria, Yuraïa ne serait pas mort, Argo n'aurait pas été perdu et l'ombre n'aurait pas été libérée...

Il n'en restait pas moins qu'elle avait pris la décision de défier Gaïa malgré les avertissements de la déesse, elle toute seule... La situation aurait pu survenir à n'importe quel autre combat et elle savait que chaque fois elle aurait choisi de sauver Argo...

Syrah saisit sa tête dans ses mains, son esprit n'était plus à même de trancher... Elle était la porteuse d'âmes, elle devait être une chef juste...

Derrière ses yeux mi-clos l'image de la Gaïa enfant s'imposa à elle : sa bonté naturelle et son amour inconditionnel. Syrah avait beaucoup défié sa créatrice récemment, mais cette image restait l'incarnation d'un idéal perdu... Un idéal auquel elle souhaitait tendre.

Elle affronta de nouveau le regard de son amie : les traits d'Hanae étaient tordus par l'angoisse, concentrée à l'extrême sur le visage de Syrah dans l'attente d'une mimique ou d'un mot.

Le reste de la pièce semblait figée, c'est à peine si l'on voyait respirer les autres humains et aucun poil ni aucune écaille ne bougeait parmi les anim'âmes. Seule la queue de Vagha imprimait un léger balancier, chez lui aussi, le manque de repos laissait poindre un certain agacement. Syrah décida de rompre la tension :

Symbiose - Les parangons Où les histoires vivent. Découvrez maintenant