Symbiose - Les parangons

Les dents de la mer

Syrah aurait pensé que vomir lui permettrait de se sentir mieux, mais la situation ne faisait que s'empirer. La barque s'agitait dans tous les sens tandis que le vent forcissait de minute en minute. Elle s'agrippa au rebord avec l'énergie du désespoir alors qu'un nouvel accès de nausées la saisissait de nouveau. L'esquif était sommaire et neuf personnes n'y tenaient qu'avec grande difficulté. Au moins, pensa-t-elle, elle n'avait plus à craindre le regard des habitants de la cité de Turquoise, même si celui qu'Hanae lui lançait n'était guère plus charitable. Elle ne pouvait s'empêcher de jeter un air dégouté vers Syrah tandis que celle-ci se penchait encore une fois par-dessus le bord.

- Tiens bon, porteuse d'âmes. Le climat est changeant ces jours-ci, un grain se prépare, mes vieux os me le murmurent... Mais nous n'avons plus le temps d'emprunter une route plus abritée. Avec un peu de chance, nous pourrons les prendre de vitesse, alors la tempête couvrira notre fuite. Sylkaïa gérait d'une main experte, à la fois la voile et la barre, un œil toujours fixé vers l'horizon menaçant.

Syrah tenta une nouvelle fois de se réfugier dans les limbes. Les attributs de ses anim'âmes ne lui étaient malheureusement d'aucun secours, mais le monde psychique lui offrait un abri provisoire très appréciable. Cependant, elle ne pouvait pas quitter complètement le plan physique trop longtemps, la situation était critique et elle avait besoin que son esprit reste ancré dans la réalité. L'albatros de Sylkaïa poussa un cri puissant au-dessus d'eux.

- Bile de morue avariée ! Crym vient de les repérer, ils ont envoyé un contingent à notre poursuite ! Nous avons encore une chance, nous arrivons !

Il désigna une profonde anfractuosité dans la falaise, la mer se fracassait sur la pierre noire en y déposant des nuages de mousse. Il obliqua pour suivre ce nouveau cap. Cependant, pour bénéficier du vent le plus favorable, ils avaient pris un itinéraire au large et la masse d'eau qui les séparait toujours de leur objectif sembla immense à Syrah.

- Foutu vent de terre ! grommela le prêtre, il faut absolument nous approcher de la falaise le plus possible. Il existe une barrière de roche naturelle autour de la grotte, les anim'âmes des seigneurs-prédateurs sont trop imposants pour y accéder. Mais jusque-là, nous sommes à la merci de leur mâchoire !

Au loin, on entendit le son d'une corne. Suivi de cri guerrier terrifiant.

Syrah sentit s'ajouter à la nausée, un sentiment d'urgence. Certes, ils étaient armés, mais privés de leurs anim'âmes, ils offriraient une piètre résistance aux dents acérées de leurs monstres marins.

Sylkaïa extirpa quatre rames du bateau :

- Toute aide sera la bienvenue !

Adrast, Argo, Pryham et Hanae s'en saisirent immédiatement.

Svalantia et Fahën se positionnèrent en poupe, arcs et arbalètes bandées.

Hestia se rapprocha de Syrah et lui prit la main.

- Puisse Gaïa nous porter secours.

Elle serrait dans son autre paume une épée à manche courte : malgré l'entrainement, elle restait la moins habile au combat, pourtant ses yeux déterminés affirmaient qu'elle était prête à vendre sa peau le plus cher possible.

Syrah tira sa propre lame. Un bruit régulier venait vers eux à toute vitesse. Il lui rappela les quads du Lord Voluris.

La côte déchiquetée se rapprochait à une lenteur irréelle, Syrah pensa à Vagha et Zaïra seuls sur la rive et à sa promesse à Thaly. Elle allait se battre jusqu'au bout pour les retrouver.