"Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s'y prendre de manière violente. Les méthodes d'Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l'idée même de révolte ne viendra même plus à l'esprit des hommes. L'idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées."
Aldous Huxley - 1939
La peine se lisait sur le visage du Prince héritier. Sa mère et son père étaient profondément affligés. Le couple royal ne semblait pas pouvoir retenir sa peine. Les deux grands cercueils et le troisième beaucoup plus petit progressèrent dans l'allée pour quitter la cathédrale.Diane avait vu énormément de morts dans sa vie. Elle avait été torturée. Elle avait vu des gens se faire tuer lors d'un raid dans un pays en guerre au Moyen-Orient. Elle avait été menacée par une arme à bout portant. Elle avait tué.
Mais le discours du Prince à propos de son frère, de sa femme et de leur fils força Diane a accepter qu'elle était humaine. Les yeux rougis par les larmes retenues, le Prince devait reprendre son souffle régulièrement. Il avait manqué de craquer et avait certainement pesé ses mots lorsqu'il avait parlé des atroces circonstances de la mort de ces êtres si chers à ses yeux. Il était resté droit et poli sans quitter des yeux son père. Comme si ses mots douloureusement prononcés l'accusaient par derrière.
Sa fierté volant pour quelques secondes en éclats, Diane laissa une larme couler sur sa joue lorsque la maîtresse d'école du petit Adrien prit la parole. L'espionne n'avait pas dû faire semblant. Elle n'avait pas assisté à beaucoup d'enterrement dans sa vie car elle les fuyait tout simplement. Mais c'était la toute première fois qu'elle assistait à celui d'un si petit être. Si innocent. Et le discours de sa maîtresse, remplit de peine mais aussi de rappel sur le si jeune âge du petit Prince acheva la part de fierté et de professionnalisme de Diane.
Elle sentit le Prince à côté d'elle se pencher et s'aperçut qu'il tenait son visage dans ses mains. Elle glissa alors un bras dans son dos, plus ou moins comme convenu. Il se redressa alors et prit la main de la jeune fille devant lui pour y poser ses lèvres. Il la relâcha ensuite, à nouveau droit et fier malgré ses yeux humides.
Devant le téléviseur vétuste du salon de la coloc, Hortense, Yasmine et Nathan regardaient d'un œil morne l'émission spéciale sur l'enterrement des trois membres de la famille royale.
- C'est quand même super triste, chuchota Yasmine, sa tasse de café brûlante entre ses mains, histoire de se réchauffer.
- C'est surtout dégueulasse pour le petit, ajouta Nathan. C'était un gosse quoi...
- Et c'est sûr que c'est un attentat terroriste ? demanda Hortense, sa bière fraîche au bout des doigts fins.
- Oui, ils ont même arrêté un mec apparemment. Il a avoué avoir tout préparé des mois à l'avance avec son groupe de radicaux.
- Attends, je t'arrête tout de suite, fis Yasmine en levant la main. Le mec s'appelle Farid.
- Et ?
- Sérieux, par les temps qui courent, j'ai l'impression que les étrangers se font arrêter pour tout et n'importe quoi et écopent des peines des autres.
- Elle n'a pas tort, avoua Hortense. Si ça tombe c'est un complot.
- C'est d'office un complot ! s'exclama la plantureuse Samantha qui se préparait du guacamole dans la cuisine.
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La peur de l'autre
AksiAttentats, décrets ouvertement racistes, disparitions étranges... Hortense et Diane ne se connaissent pas et pourtant leurs vies basculent en même temps, le jour où le pays dans lequel elles vivent sombre dans la guerre. Chacune se voit investie d...