Maintenant, je sais... (TOME 2)

Chapitre 1

Il manque une bande originale à l'arrière-plan de ma vie. J'aurais aimé qu'un artiste compose une chanson qui représenterait mon âme. Une mélodie accompagnerait chaque instant de mon existence et son tempo changerait toutes les fois où je devrais être prudente. Il créerait une œuvre spécialement écrite à mon attention et m'aiderait à comprendre les intentions du monde.

Un de mes cadeaux d'anniversaire, qu'on m'a offert à mes dix ans, réalise presque ce souhait. Son titre et sa couverture ne présentent aucun indice concernant l'histoire qui se cache entre ces feuilles. Ce roman épistolaire raconte les mésaventures d'un couple qui doit renoncer à leur progéniture. La mère ne peut avorter à cinq mois de grossesse et les temps difficiles passés avec leur premier enfant ne leur permettent pas de garder leur deuxième descendance. Alors, ils décident de l'amener à l'orphelinat. N'ayant plus aucune charge sur sa fille, mais étant rongée par la culpabilité, la mère contacte sa meilleure amie. Bien qu'elle sera loin de son nouveau-né, elle préfère le confier à une personne qu'elle affectionne beaucoup. Les minutes s'écoulent et chacune d'elles vit séparément pendant dix ans. Puis lors d'une rencontre fortuitement inexplicable, les deux bébés qui ont maintenant grandi deviennent meilleurs amis à leur tour. La suite se base sur cette amitié, qui bien sûr s'écroule petit à petit, à défaut de vouloir garder ce secret un peu plus longtemps. La fin se termine évidemment très bien. La naïve fille finira par laisser le temps réparer ses blessures après quelques mois de souffrances et d'incompréhensions. La conclusion hâtive d'une jeune femme se faisant manipuler par sa famille. Seulement, cette partie n'existe toujours pas dans ma vie et elle ne se poursuivra pas ainsi.

Ce livre calque l'exactitude des faits réalisés depuis ma naissance et personne n'a changé la moindre chose. Je ne compte pas rester le personnage secondaire de leur histoire. Le schéma narratif comporte plusieurs étapes et je suis arrivée au retournement de situation qui m'appartient. L'image désirée de cette protagoniste ne s'écrira pas, car je refuse de jouer le rôle du pantin.

Pendant que les mots que je relis depuis des heures se reflètent dans mes yeux, je visualise la réplique parfaite du silence de mes parents. J'aurais dû voir en cet écrit les secrets de ma famille. Il aurait été un parfait moyen de déduction, sauf que cet objet me permet initialement d'échapper à la réalité. Mais, la vérité a fini par croiser mon chemin lors de la veillée de Noël... Il est fou de constater que l'être humain choisit toujours les bons moments pour les gâcher par la suite. Nous devions nous retrouver entre meilleurs amis et déguster une succulente dinde, comme grands nombres typiques d'Anglais. Sauf qu'ils ont préféré transformer cela en : « Enchanté, je suis ton père biologique. Oh, j'allais oublier. Ton meilleur ami est également ton frère. Bon réveillon à toi ! »

Mon adoption ? Je considère cela comme le premier secret de mon lourd passé qu'ils ont bien voulu me dévoiler. J'avais deux ans quand Solène et Marc Fleury ont signé une tonne de papiers administratifs pour que j'intègre enfin leur livret de famille. Entre-temps, le mensonge a lié leurs langues. Seize ans plus tard, je fugue pour survivre sans eux. Ça ne fonctionne pas... Évidemment, mon cerveau me retransmet les différents moments qu'on a partagés ensemble. Des sourires, quelques discussions sincères, des souvenirs nostalgiques. Aux premières apparences, je perçois l'amour de mes proches, puis en zoomant, les détails se concrétisent. Les appels de longues durées, la colère de mon prétendu meilleur ami et l'alchimie directe entre nos parents. Plein de signes visibles qui m'ont échappé. Voilà pourquoi je ne peux pas rester ici. Je dois retrouver mon pays natal. Cette action semble tout à fait réalisable. J'ai dix-huit ans, des bagages dans les mains et ma carte bancaire. Je n'ai plus qu'à forger mon esprit pour tout oublier et ainsi abandonner ce pays. Plus rien ne me retient contre ma volonté. Du moins, jusqu'à cette personne. Finalement, à lui seul, il pourrait renverser ma décision.