Chapitre 6

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Dans la voiture de Lucas, je regarde à travers la vitre ce paysage magnifique qui me manquera. Il a neigé dans la nuit et ce matin, les routes sont presque impraticables. Après plusieurs appels auprès d'agences de taxis qui se sont abstenus de m'emmener à la gare, Lucas a proposé de m'y conduire. J'aurais dû lui dire que je ne reviendrais pas. Je refuse qu'il garde en lui un quelconque espoir de me revoir. Il ne doit pas m'attendre. Je ne suis sûre de rien pour le moment et mes deux semaines s'éterniseront certainement. J'entretiens toujours notre relation si je laisse au coin de sa tête l'information d'un éventuel retour. Je dois y mettre un terme. Et il ne me reste plus beaucoup de temps.

— Est-ce qu'hier, tu avais prévu de partir aussitôt ? me demande Lucas en quittant un instant la route des yeux. Tu n'as même pas dit au revoir à ma famille...

— Oui, c'était anticipé. Désolée, tu le feras à ma place.

— Les jumelles étaient heureuses de te voir, déclare-t-il.

— Moi, également.

— Elles sont sèches tes réponses, me fait-il remarquer.

— Je ne suis pas d'humeur.

— C'est pas un motif pour paraître aussi aigrie, commente-t-il en serrant la mâchoire.

Il a raison. Je ne devrais pas manifester de comportements négatifs auprès de lui, il n'y est pour rien. Pourtant, je me laisse emporter par les aspects péjoratifs, sans prendre un instant pour les évacuer de mon esprit. Après tant d'années, ils gagnent la place principale dans mon cerveau et déterminent mes moindres faits et gestes. Plus rien ne les arrête, pas même mon courage qui savait s'affranchir d'un quelconque obstacle auparavant. Le manque de sommeil n'arrange rien non plus. Je n'ai dû dormir que six heures en trois jours. Je suis fatiguée moralement comme physiquement. Depuis notre rencontre, Lucas est devenu mon espace de repos, ma source de bonheur et de réconfort. Sa simple présence me permet d'avoir le droit de rêver, d'illuminer mes instants et de chérir le temps présent. Je ne lui offre rien de tout ça. J'épuise ses plus belles valeurs, je les lui supprime en me contentant de les absorber sans rien lui donner en retour.

— Excuse-moi, dis-je en sachant très bien que ça ne changera rien.

— Pour tout te dire, je suis perdu, Louane. J'ai l'impression de parler à deux personnes différentes à la fois, décrit-il en soupirant. D'un côté, tu vas me montrer ta compassion, ton empathie et ta gentillesse, puis d'un seul coup, tu deviens froide. Comment je dois comprendre tout ça ?

— Il n'y a pas grand-chose à saisir, répondis-je en ne pouvant lui donner une réponse précise. Je suis juste un peu à cran en ce moment...

— Tu recommences, se plaint-il. Arrête de dévier la conversation et explique-moi plus clairement les choses !

Je ne devrais pas être surprise par son énervement, mais je sens tout de même mon cœur s'enfoncer sous ma cage thoracique.

— Ça passera, terminé-je.

Il sait qu'il n'obtiendra rien d'autre de ma part, alors nous terminons le trajet sans un mot. Lucas se gare provisoirement sur une place de parking gratuite pendant une heure. Je sors mes valises de sa voiture et m'apprête à lui dire au revoir, mais il s'empare de mes bagages pour se diriger vers l'entrée. Je me retrouve devant ces portes que j'ai traversées il y a deux mois pour débarquer dans ce pays et construire une nouvelle vie. Ce grand changement avait déclenché quelques-unes de mes appréhensions, et pourtant je n'avais jamais imaginé que mon passé viendrait me perturber.

Dans la gare, je me dirige vers un stand de l'Eurostar pour prendre mon billet. Pendant ce temps, Lucas achète de quoi grignoter dans une mini supérette. Cela m'évite de faire face à sa confusion lorsque je ne prends pas de ticket pour le retour. Autour de moi, les voyageurs guettent auprès des panneaux d'affichage quand leurs trains arriveront à quai. Le temps se dilate dans cet endroit où nos projets nous rendent impatients. La gare devient notre point départ, notre prochaine histoire. Nos attentes grandissent en voyant chaque minute qui s'écoule et chaque seconde qui passe. Nous sommes suspendus à cette aiguille qui nous déposera là où la suite nous accueillera. En ce qui me concerne, le tunnel sous la Manche me livrera en France. J'aurais pu opter pour une autre destination. Paris est un choix stupide, surtout quand cette ville me cachait l'existence d'un frère. Pourtant, revenir à l'origine de tout me paraît évident.

Maintenant, je sais... (TOME 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant