Chapitre 9

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Gauthier.

Lucas est méconnaissable. La lueur dans ses yeux s'est évanouie pour laisser place à cette souffrance qui, je pense, est involontairement apparente. Louane l'a blessé et pourtant il se raccroche encore à elle, à ses mots qui produisent son incompréhension. Cela doit faire mal d'aimer. D'un côté, il y a une âme vagabonde, peu sûre d'elle, indépendante et libre de tout attachement. De l'autre, une âme fidèle, confiante et honnête. La rencontre de ces deux sphères a provoqué un présent sans lendemain. Leur amour s'est construit seconde après seconde sans se préoccuper de ces bombes à retardement qui exploseraient un jour. J'aurais dû faire part de mes incertitudes à Louane avant que ses faiblesses ruinent leur relation. Pour que cela dure longtemps, aimer Lucas ne suffirait pas. Elle devait d'abord apprendre à s'aimer. Mais, au fil des années, j'ai perdu le sens de ce que signifiait protéger quelqu'un et lui dire la vérité. Alors, tant que le bonheur parvenait à elle et qu'il la rendait heureuse, j'ai incité Louane à poursuivre ce chemin. Je me souviens d'avoir eu un avis différent les premiers jours où elle l'a rencontré parce que Lucas aurait pu être une mauvaise personne. Puis, j'ai compris qu'il la soutiendrait d'une meilleure manière que moi.

Cela me surprend encore de savoir qu'elle ne lui a rien dit, mais je reconnais bien Louane dans ces situations. S'éloigner des autres afin de ne pas les faire souffrir. Sauf que le contraire se produit. Lucas sort de la maison sans un bruit en serrant fermement la lettre contre sa poitrine. Sa venue a déclenché le réveil des quatre esprits endormis de cette maison. Rencontrer un jeune homme plus attristé qu'eux par le départ de leur fille est venu titiller leur conscience. Louane n'a pas donné de nouvelles depuis son départ, du moins les seules qu'on reçoit proviennent de ses grands-parents. Durant deux semaines, nous avons cohabité sans discuter de notre ressenti, celui de se sentir coupable. Personne n'a osé engueuler l'autre parce que chaque argument égaliserait la partie. Chacun s'est tu en attendant son retour qui s'attarde. Cette période d'inactivité et de repenti m'a permis de réfléchir aux différentes erreurs que j'ai commises auprès de Louane, pour conclure sur un rendu évident : elles étaient commandées par leurs soins. Dès mes treize ans, j'ai été contraint à obéir, à devenir captif de leur histoire. Tout ce que j'entreprenais n'était que le fruit de leur bon vouloir. À partir de ce jour-là, j'ai dû sacrifier ma vie au service de ma sœur. Et ça ne me dérangeait pas.

Ma rencontre avec Louane a changé mon existence pour la rendre plus intéressante. Très tôt, je me suis senti seul dans ma famille. Peu de mots doux, de paroles réconfortantes, un soutien minimal et beaucoup de laisser-aller. Un enfant délaissé, mis de côté pour une raison inconnue, à part peut-être pour celle qui se cachait derrière leurs yeux remplis de désespoir et de culpabilité. Toutes ces années où j'ai vécu sans me sentir à la maison quelque part et sans trouver la moindre alliance avec quelqu'un ont été révolues grâce à elle. Dans la vie de mes parents, ma place était minime. Dans la sienne, elle était importante et ça m'a sauvé. Nous étions identiques. Deux enfants uniques avec une passion commune pour la perte de notre identité dans la représentation d'autres personnages. Louane a toujours eu beaucoup de talents pour disparaître derrière l'image d'un rôle à jouer. Son audition pour Grease m'a aidé à comprendre quelque chose. Devenir comédien n'a jamais été l'un de mes rêves. À force de vivre continuellement auprès d'elle, j'ai fini par copier ses envies et ses désirs. Je me suis perdu dans notre relation, tant par mon identité auprès d'elle que par la raison de mes choix qui m'étaient restreints. Pourquoi l'avais-je suivie jusqu'en Angleterre ? C'était une volonté de mes parents. Je devais continuer mon rôle de garde du corps en oubliant pas de leur transmettre un récapitulatif de chacune de nos journées. Pendant les premières semaines, je me tâchais à remplir cet objectif, le mois d'après, je répondais de moins en moins à leurs messages. Il est venu un temps où j'ai été lassé d'eux, de leur emprise et surtout de cette impression de n'avoir jamais vécu pour moi. En sept ans, j'aurai eu le temps de me rebeller et de leur dire non, mais en échange d'une merveilleuse amitié, j'ai signé ce contrat à durée indéterminée pour veiller sur elle. Au fil des ans, j'ai oublié qui était en face de moi. Différencier ma sœur de ma meilleure amie ne se faisait plus. Ma couverture commençait également à me plaire. Son ignorance devant toute cette mascarade a créé nos plus beaux souvenirs ainsi que nos plus gros fous rires. Je n'en ai jamais voulu à Louane d'être la raison des querelles à la maison. Déjà petit, j'étais du genre capricieux. Mon adolescence n'a pas facilité la tâche à mes parents. Mes crises de nerfs et mes excès de violence épuisaient leurs journées. Je n'avais trouvé que ce moyen pour qu'ils m'accordent de l'importance, pour que j'obtienne peut-être un jour un peu de gratitude... Aujourd'hui, je suis devenu trop vieux pour user de cela. Alors, je choisis de m'enfoncer dans les ténèbres. Ça ne plaît pas à mon père, mais je stocke de plus en plus de bouteilles dans ma chambre. Quoi qu'il dise, ses mots ne seront pas un remède contre mes insomnies. Au contraire de l'alcool qui a beau détruire mon mécanisme, mais me permet de m'effondrer de sommeil en quelques minutes. Boire ne date pas d'aujourd'hui. Je m'enivre de ces liqueurs amères à la vue d'un moindre problème. Louane le sait, elle en a même vu les conséquences. Ça ne m'a pas pour autant arrêté parce que plus je bois, moins le poids sur mes épaules m'écrase. Je suis juste assommé par une énorme gueule de bois à mes réveils.

Maintenant, je sais... (TOME 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant