Maintenant, je sais... (TOME 2)

Chapitre 19

J'ai glissé la lettre de mes parents biologiques dans mon journal intime à côté de plusieurs commentaires sur mes ressentis face à leur pardon. Ça n'a rien d'évident, mais j'accepte petit à petit les conséquences de ma vie sur ma personnalité et sur mes choix. Pour m'aider, Gauthier reste mon confident. Ça ne change pas notre relation, je crois même que cela la rend plus unique. Bon, il me taquine d'autant plus, mais ça m'amuse. Quant à notre avenir, nous savons que cette histoire y aura un impact, mais nous y serons préparés. Mon cœur comblera ce vide au fil des années en apprenant à pardonner les erreurs des deux familles qui m'ont créée. Je tourne enfin la dernière page de ce chapitre de ma vie et m'attarde maintenant au procès d'Emma.

Après avoir déposé plainte en décembre dernier, j'ai attendu qu'on me rappelle pour pouvoir parler devant la justice. Il était important que quelqu'un d'autre s'occupe de cette partie de mon passé. J'étais en droit de demander à ce qu'une entité répare toutes mes années vécues dans l'ombre de cette personne. C'est étrange d'être le sujet principal d'une enquête judiciaire. Je n'ai jamais su comment les évènements se déroulaient dans ce genre d'épreuves. Les médias nous rapportent seulement les faits et le verdict final. Les dessous de l'investigation sont cachés entre les lignes. Il s'avère que la justice se résume à bien plus qu'un simple coup de marteau et un juge annonçant « affaire conclue ». Depuis les dernières semaines, mon avocat regroupe toutes les informations nécessaires pour argumenter notre point de vue. Le camp adversaire en a fait de même en présentant ces faits et preuves pour défendre Emma. Le tribunal est prêt à nous entendre.

La salle d'audience ressemble typiquement à celles qu'on aperçoit dans les séries policières. La victime à gauche et l'accusé à droite. Nous sommes tous installés, mais Emma manque à l'appel. Elle entre lorsque nous saluons le Président de la Cour d'Assises. Même si son habit carcéral se démarque de nous, je n'oublie pas qu'elle a mon âge et que sa vie aurait pu être différente. Mais le souvenir des derniers mois circule d'un bout à l'autre de mon cerveau. Elle dégage encore une énorme présence dans mon être et ça ne partira pas. Quand j'examine ses expressions, son visage ne se décompose pas et elle ne présente aucun signe de faiblesse. Ce qui m'énerve au plus haut parce qu'on dirait qu'elle attend ce moment depuis longtemps. Pourtant, je suis attristée de constater que peu de personnes sont assises sur les bancs derrière elle pour la soutenir. Je ne remets pas en doute mon accusation, mais lorsque je me retourne, mes proches sont là pour moi. Mes parents, Gauthier, Harry, Zack, Quinn, Connor, Finn, Lucas et mes trois mousquetaires ; Madison, Courtney et Rose. Voilà ce que représente le fait d'être entourée de bonnes personnes. Je leur adresse un dernier sourire avant de tourner mon visage vers le moment le plus stressant de ma vie.

Le président se lève et annonce à haute voix les charges retenues contre Emma. Le rapport introductif déclare Emma jugée pour harcèlement moral et physique puis atteinte à la personne humaine. Zack et Quinn ont décidé de faire mention de la séquestration de Quinn seulement dans leurs témoignages. J'ai insisté pour qu'ils se présentent comme victimes avec moi, mais ils ont préféré avoir un droit de parole pour me défendre.

La première étape de l'audience commence. Les gendarmes présentent à tour de rôle les éléments clefs de l'enquête. Plusieurs indices figurent sur une table en face nous, notamment, l'arme d'Emma, la bague de Quinn, quelques clichés de nos blessures corporelles, des photos de la cave où Quinn a été enfermée, ainsi que les résultats de son ADN obtenu sur une serviette de bain. Tous portent la marque des actes d'Emma et suffiraient à la condamner, mais quelque chose attire mon regard. Je ne me souviens pas avoir fait mention de mon journal intime dans les preuves contre elle. Je comprends l'intention de mon avocat d'opter pour la meilleure défense, mais ce cahier contient plus de niaiseries amoureuses que de preuves solides contre Emma. Je préfère qu'Emma sorte sans indemnité que moi sans ma dignité. Je laisse cela de côté lorsqu'une femme en chemise blanche s'avance vers le juge. Pour sûr, elle n'est pas venue prendre ma défense. Plutôt physionomiste, je me souviens des personnes qui m'ont accompagnée dans mes nombreuses crises identitaires et ce n'est pas le cas de cette experte. Quand elle se présente devant l'assemblée, la pitié que j'ai déjà pour Emma s'agrandit. Ce n'est autre que sa psychologue qui la suit depuis ses dix ans. Je souris quand je découvre que nous avons sûrement plus de points en commun que je ne le pense. Parce que si elle possède une copie conforme de mon journal, ce n'est pas une coïncidence. Mais il s'avère que son histoire est mille fois plus tragique et compliquée que la mienne.