— Louane, s'il te plaît, reste, supplie ma mère en prenant ma main.
Je me dérobe de son emprise, m'empare de mes valises et sors de la maison. Les toits des habitations voisines sont tapissés d'une fine couche de neige. Je tâte mon cuir chevelu et constate l'absence de mon bonnet pour me couvrir les oreilles. Le jour de Noël, je n'ai pris que le strict minimum sur mon passage, hélas, sans me soucier de la météo de cet hiver. La légèreté de mes bagages prouve que j'aurai dû mieux me préparer, mais mon manque de raisonnement et ma seule envie de les quitter m'ont détournée de cette étape. Actuellement dehors, je me pose la question de faire demi-tour pour reconsidérer ma garde-robe ou bien de laisser le froid me congeler les orteils. Si je franchis cette porte, je passe pour l'enfant perdu et misérable qui réalise ses erreurs. Tant pis, je choisis ma santé quand je tourne la poignée.
Une étincelle d'espoir apparaît dans leurs yeux, lorsque je m'avance dans le salon pour monter les escaliers qui mènent à ma chambre. En haut, je parviens tout de même à entendre mes parents qui cherchent une solution pour m'empêcher de partir. Je ne renoncerais pas, même s'ils me rapportent plus d'une dizaine de tupperwares remplis des lasagnes spécialement concoctées par Gauthier. Cette simple idée me met l'eau à la bouche, mais je retrouve mes esprits en repensant à son vrai visage. D'un seul coup, je me demande si ses défis étranges pour m'extirper de ma zone de confort devaient me préparer à tout ça. J'ai toujours appris quelque chose grâce à ce jeu, en particulier lorsqu'il voulait rencontrer d'autres aspects de ma personnalité. Dernièrement, une de mes professeures a dû assister à l'une de mes transitions ; passer d'une lycéenne sage à une ado rebelle. Le concept me plaisait parce qu'il m'aidait plus tard à perfectionner mes rôles. Mais, ici, le sujet me tiraille au point que je n'en vois pas l'utilité. Gauthier connaît plus de la moitié de mes pensées, il a entendu tous mes regrets et a participé à une grande partie de mes meilleurs souvenirs. Bien qu'il m'ait soutenue pendant des années, sa trahison me déçoit énormément.
Quand j'arrive devant ma chambre, ma porte s'accroche désespérément à la seule charnière restante. Quelqu'un l'a enfoncée. En entrant, la stupeur ne me permet plus d'avancer. Mon lit gît sens dessus dessous, le reste de mes affaires repose sur le sol de ma chambre et mon bureau a été entièrement vidé. Qu'importe la personne qui a provoqué tout ça, elle cherchait à coup sûr quelque chose. Après m'être habituée à ce désordre, j'enjambe les bouts de verres du cadre photo normalement posé sur ma commode. Du sang sèche sur l'image de mes parents et moi. Quelqu'un s'est blessé. J'essaye de me rappeler qui portait un bandage lors de notre réunion, puis je revois mon père cacher sa main droite. Il ne voulait probablement pas que je remarque sa seconde crise de colère. La première lui a valu un énorme bleu sous le menton provoqué par Alexandre. Mon père a perdu le contrôle de son sang-froid et s'est jeté sur les parents de Gauthier avant que je ne sache tout. Le choc de le voir aussi énervé et sans maîtrise de lui-même n'a pas quitté mon corps. La violence ne mène à rien, mais j'imagine qu'il ne pouvait plus rien retenir à l'intérieur de lui. Il ne peut que reprocher son comportement. Je prends la photo et la déchire de mes mains avant d'ouvrir mes valises. Je pioche ce qui m'intéresse dans le tas à terre en oubliant pas de me vêtir de mon manteau, mes gants, une écharpe et mon bonnet. Je pense y avoir inséré l'intégralité de ma chambre quand je n'arrive pas à les fermer. Puis, je réalise ce qui manque. Mon journal intime a disparu. Voilà, ce que mon père est venu dérober de mon espace personnel. Je supporte déjà peu l'état dans lequel il l'a détruit, mais ce geste dépasse les limites. Je me lève d'un bond pour manifester mon mécontentement, puis l'entrée de la chambre de mon meilleur ami m'attire.
Chacune de mes visites dans sa piaule m'a toujours perturbée. Sa simplicité et son minimalisme empêchent quiconque d'analyser la personnalité de Gauthier ou de connaître ses goûts. Comme si le fait de ne rien montrer permettait d'effacer son passé. On aurait dit une page vierge qui attend de l'encre pour raconter une histoire. De cette façon, il était libre de devenir n'importe qui auprès des autres.
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Maintenant, je sais... (TOME 2)
Romance" J'ai appris récemment que les erreurs de notre passé s'immobilisent dans nos pensées avant de quereller notre présent." Lorsque la vérité éclate au grand jour, Louane pense à son avenir. Décidée, elle fait un choix. Mais, est-ce le bon ? Suite et...