Chapitre 2

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Dix minutes. Voilà, dix minutes que j'attends qu'on m'ouvre la porte. Gauthier a insisté pour que je rentre. J'ai essayé d'argumenter mon désaccord, mais il a fini par me convaincre en disant que je nécessite des explications. Sauf que les minutes deviennent longues et que je commence à regretter. Et quand je pense que ce secret tenait sur le bout de leurs langues... Toutes leurs phrases ont été maniées de telle sorte que rien ne soit révélé. Plus ma famille emprisonnait cette vérité, plus ma frustration s'agrandissait. La douleur n'émane pas de leurs déclarations puisque l'identité de mes parents biologiques s'exposait constamment dans mes pensées. Un jour ou l'autre, j'aurai eu besoin de réponses. Je n'aurais jamais imaginé leurs proximités. Finalement, ma plus grande déception est d'avoir cru en leur confiance, alors qu'ils creusaient un vide profond en moi.

Je ne sais pas ce que Gauthier attend de cette discussion. S'il prévoit que j'agisse correctement devant eux et que je les excuse, il se trompe. J'angoisse à l'idée d'entendre tous ces détails qui expliqueront leurs choix. Appuyer mainte et mainte fois sur la sonnette accélère ma nervosité. Cette situation m'étouffe. Mes mains tremblent et mes yeux sont embués. Pourquoi dois-je subir ce malheur ? Je pourrai m'en aller et ne pas m'attarder, mais après ces dix-huit années de mystification, je veux savoir quelles difficultés les ont contraints à s'abstenir d'être honnêtes envers moi. Puis, je repense à ma réaction et mes projets. Ils me connaissent, c'est évident puisque je suis leur fille. Voire pire. Une créature qu'ils ont manipulée, façonnée, fondée à leur manière. Durant toutes ces années, j'ai été capturé dans leur cage parfaite, sans aucune issue de secours, parce que m'envoler était un risque trop grand à perdre pour eux. Pour une fois, leur déduction était juste. Je refuse de continuer à vivre sous cette fausse identité.

Trente minutes s'écoulent, et toujours aucun mouvement ne parvient au niveau du palier. Faire le tour de la maison ne rimerait à rien, puisque je ne verrais que les fenêtres de la cave. Alors que je m'apprête à abandonner, la voiture de mes parents et celle de Gauthier s'arrêtent devant la maison. Ils sortent et j'observe un apaisement sur leurs visages. L'air se referme sur moi et je ne supporte plus cette pluie. Personne n'ose dire un mot. Chacun de nous se demande qui avancera le premier. Ça ne me surprend pas quand Gauthier s'approche de moi. Il bout d'impatience. Il ouvre la porte et s'adresse à nous.

— Il est temps de dire adieu à ce silence.

Sa phrase résume en tout point mes attentes envers eux. Son père tapote ses chaussures contre l'escalier pour enlever la boue avant de monter avec sa femme qui lui tient la main. Mes parents se regardent, prennent une grande inspiration et les suivent.

Avant d'entrer, je leur laisse un moment pour qu'ils réfléchissent à une bonne manière de m'annoncer les choses et surtout qu'ils se mettent d'accord pour faire exception de quelques mensonges. Je préfère me méfier en les pensant encore capables d'inventer d'autres scénarios. J'écarte cette idée de ma tête en me rappelant que Gauthier a son mot à dire pour cette fois. Je les pressentis en croisant ses yeux tout à l'heure, sa voix n'ira plus s'effacer face à la leur. Je ne lui pardonne pas d'avoir endossé si bien son rôle de meilleur ami quand il savait pratiquement tout. Mais, lui aussi a subi une trahison. Gauthier fêtera bientôt ses dix-neuf ans, ce qui sépare nos naissances d'une simple année. Je ne pense pas qu'il ait pu décider quoi que ce soit dans cette histoire à un si jeune âge. Connaître l'existence d'une sœur a dû aussi tarder pour lui. Je ne connais pas ses ressentiments face à tout cela, et si je ne me joins pas à lui, je n'en apprendrai pas davantage.

Après quelques minutes, j'entre et pose mes valises près de la porte, prêtes à partir si je ne peux supporter un de leurs propos. Ils se sont installés en arc de cercle dans le salon. Quand je m'approche d'eux, j'ai l'impression d'être le juge haut placé d'un tribunal et de m'adresser aux accusés assis en face de moi. Leurs regards fixés au sol montrent leur culpabilité. J'éprouve d'un seul coup un peu de pitié. Revenir sur des incidents ne plait à personne. Et c'est leur profonde tristesse qui attire ma peur. Qu'a-t-il bien pu se passer pour qu'on en arrive jusque-là ?

Maintenant, je sais... (TOME 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant