La page blanche

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Je me craque les doigts et soupire. Cela fait maintenant deux heures que j'essaie d'écrire, en vain. Il est à présent dix-neuf heure lorsque j'entends ma porte d'entrée claquer.

C'est mon petit-ami Elyan qui rentre très certainement de la fac.

"-Hello! Je suis rentré!

-Je m'en doute vu le bruit que tu fais.

-Très drôle. J'aurai pu être un cambrioleur.

-Un très mauvais alors.


Je m'approche de lui et l'embrasse.


-Tu as passé une bonne journée?

-On peut dire ça. J't'avoue qu'au bout de quatre heures de bio' j'ai commencé à fatiguer.

-Tu m'étonnes.

Et toi? T'as l'air épuisée.

-Mouais. Comme d'habitude tu sais.


Je l'observe s'avancer dans le salon avant de s'avachir sur notre très modeste lit-canapé.


-Fais attention! Il y a mon ordinateur juste à côté!

-Excuse-moi. Tu as fait à manger?

-Oui...


Je soupire en allant mettre au micro-ondes nos assiettes. Je reviens à peine deux minutes plus tard, les mains pleines.


-Tiens. Essaie de rien salir cette fois.

-Oui maman...


Il râle en commençant à mettre sa fourchette en bouche.


-J'ai eu des nouvelles d'Alycia aujourd'hui. Apparemment, sa carrière dans la chanson avance plutôt bien.

-Tant mieux pour elle."


Je lève les yeux au ciel en soufflant à mon tour. J'entame mon assiette de pâtes en m'asseyant à ses côtés.

Alycia est une de mes amies et anciennement la meilleure d'Elyan. Elle a eu le béguin pour lui au collège et lorsqu'on s'est mis ensemble lui et moi, j'avoue qu'on a un peu pris nos distances l'une de l'autre.

Elle est belle, intelligente et fait même carrière dans la chanson. Peut-être que j'ai eu peur qu'elle me fasse de l'ombre. Non. C'est bien plus complexe que ça. En fait, ça a même un lien avec mon soucis actuel. Le syndrome de la page blanche.

Je m'en souviens comme si c'était hier.

C'était le soir de la remise des diplômes, le fameux baccalauréat. Celui dont on nous parlait tant depuis la seconde.

Une fête avait eu lieu pour tous les diplômés. A cette période, cela ne faisait qu'un an qu'Elyan et moi étions ensemble.

Je venais d'avoir mon bac L. J'étais extrêmement fière car je l'avais eu avec mention très bien. Je m'étais donc permise un petit écart : celui de me bourrer et de rentrer à pas d'heure.

Il faut noter que j'étais encore vierge car je m'étais concentrée sur mon travail durant tout le lycée. Peut-être que c'est à cause de ça que tout est arrivé. Peut-être que si j'avais été moins frigide, je serai en capacité à écrire aujourd'hui.

Peu importe. Le mal est fait, je ne peux que vivre avec.

Il était environ une heure du matin quand c'est arrivé. La mère d'Elyan était arrivée pour nous raccompagner sans danger. L'ambiance était encore à son paroxysme et mon taux d'alcoolémie aussi. Il faut dire que les trois bières plus les deux joints que j'avais pris à moi toute seule y jouaient un peu.

J'avais abusé sur la consommation car j'allais mal. L'alcool ne résout rien mais fait oublier. Je me sentais vide et je cherchais désespérément de quoi combler le creux béant dans ma poitrine. J'avais besoin de retirer de ma mémoire que j'avais manipulé une centaine de personnes pour arriver à mes fins. Et le fait de sortir avec Elyan en faisait parti.

Je me suis donc levée de là où j'étais pour aller le chercher et enfin rentrer. Il était tard et je fatiguais.

Mes yeux voyaient flous et mes jambes étaient fortement endolories. Malgré tout, je réussissais l'exploit de traverser la foule et de monter les escaliers de cette baraque.

Je me doutais qu'à l'étage il devait se passer certains trucs mais je pensait qu'il serait dans une chambre en train de se défoncer. Je crois que j'avais de toutes manières, l'esprit trop embrouillé pour réfléchir.

L'étage enfin atteint, je m'apprêttais à ouvrir chaque porte pour le trouver, qu'importe ce que j'y verrai. Je n'avais même pas fait un pas que je l'avais trouvé. Et il n'était effectivement pas seul. Alycia était là et elle avait l'air de se réjouir de sa présence. A même le mur du couloir. Ils n'avaient même pas prit la peine d'aller dans une chambre.

Je me suis ruée sur les toilettes. J'y ai vomis toutes mes tripes et très certainement mon cœur. Je savais pas si c'était le fait d'être trompée ou d'avoir trop bu et trop fumé mais j'y ai laissé le peu de joie qu'il me restait ce soir-là.

Peut-être était-ce parce que j'avais moi-même été malhonnête quant à la façon dont je l'avais séduit que je me faisais punir ainsi?

Le temps que je revienne, il était descendu et m'attendait avec sa mère. Je suis restée avec lui. Il le fallait car c'est grâce à ses parents que nous avons un appartement près de nos universités.

Et puis, il me sert tellement encore aujourd'hui que ç'aurait été bête de s'en priver.

Il m'apporte de quoi compenser le manque par son affection - car je crois qu'il n'a jamais cessé de m'aimer. Il m'offre du plaisir charnel, de l'argent et tous ce qu'il faut pour vivre.

Enfin psychologiquement. Je suis morte définitivement à cette soirée. Ma tombe était déjà creusée et il m'y a enfoncée. Le manque? Je ne sais pas de quoi je manque. Tout ce dont je suis au courant c'est que je suis infiniment malheureuse. Et éternellement. Je ne vis que par ce que me donne mon esprit et donc les autres. Mon cœur souffre de ne pas pouvoir s'exprimer et ce depuis deux ans. Le temps s'écoule pendant que le curseur de mon ordinateur attends patiemment. Je veux sortir de là. Je veux voyager et découvrir ce qui m'entoure mais je sais que je finirai inévitablement par me marier avec lui et lui enfanter de charmants bambins. Mon diplôme tant attendu n'aura servit à rien mais c'est comme ça. Je m'y suis résolue.

Je finis de manger puis part faire la vaisselle. Je n'aurai pas réussi à écrire ce soir encore. Je crois que ça va se finir comme tout les autres, dans le lit.

Je soupire et l'embrasse pendant qu'il passe ses mains sous mon débardeur.

La vie est bien monotone.

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