Je suis différent

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Le sang coule en abondance. Je m'acharne encore et encore sur mon pauvre petit poignet avant de poursuivre sur mes jambes. 

Ce soir, je suis seul. Où sont les autres? Où sont ceux censés me faire oublier? 

Je suis abandonné de tous. Je le sais. Je suis différent. Pourquoi Mère Nature ou peut-être même Dieu m'a-t'il fait ainsi? Je lève les yeux vers la glace.

Je suis, pour la première fois, infiniment beau. Mes yeux ont la même couleur que ce liquide si chaud, contrastant avec le carrelage mais surtout avec ma peau. J'ôte mes lunettes. Il ne faudrait pas les tâcher. 

Une goutte s'échoue au sol. C'est encore plus beau que moi en cet instant. Elle se mélange rapidement à ma salive et mes larmes. 

Blood, sweat and tears.

Toujours plus de coupures. C'est tellement addictif, si bon. Depuis maintenant de longues années de souffrance, je me sens soulagé. C'est ma première séance de mutilation. Je crois que je ne pourrai jamais plus m'en passer. Ce sera toujours mieux que de se réfugier dans les bras de sa mère lorsqu'on se fait insulter ou critiquer.

Je suis différent.

C'est mon seul crime et il est involontaire. 

Je suis coupable de déranger les autres par ma simple présence. Je suis coupable de ne pas suivre les codes de la société. Je suis coupable par naissance. Non. Je suis tout simplement coupable d'être venu au monde.

Un monde cruel dont je peine à me protéger. Tous les autres ont de quoi, sauf moi. Ils ont ce que tout être-vivant possède, un instinct de survie mais aussi une génétique adaptée.

Mais pas moi.

Ils ont la peau plus ou moins foncée selon l'habitat ainsi que de jolis cheveux assortis. 

Mais pas moi.

Ils ont une taille normale et des muscles de qualité.

Mais pas moi.

Ils ont de jolis yeux colorés.

Mais pas moi.

Pourquoi ont-ils ce que je n'ai pas? Pourquoi fais-je parti du peu de pourcentage, sur Terre, du manque de mélanine? Oui, je suis albinos. Je suis cet être fragile perdu en pleine nature, incapable de se défendre. Et je le prouve bien en pleurnichant auprès de ma mère à chaque petite moquerie. J'ai dix-neuf ans, je vis encore chez mes parents et je suis actuellement, pour la énième fois, en train de me lamenter sur mon sort.

Je ne suis qu'une larve. Un bonbon usagé sous votre chaussure, parfaitement cramponné à la semelle. Je ne suis qu'une loque inutile dans ce monde inégal.

Une goutte en rejoint une autre jusqu'à ce que je ne puisse plus les compter. Pauvre petite maman, elle qui avait si bien nettoyé cette salle de bain. Je ne suis décidément qu'un poids.

Ma porte tambourine, se doit être Leslie, ma grande sœur, qui a besoin de se laver. 

Je panique. Mon asthme refait surface. Le peu de sang restant dans mes veines pulse dans ma cage thoracique. Que dois-je faire? J'ai peur.

Mon souffle se raréfie. Je ne veux pas qu'elle me voit comme ça. Pas encore plus faible que je ne le suis déjà. S'il-vous-plait, quelqu'un, aidez-moi. 

Je me relève et glisse sur mon propre sang. De là, tout s'enchaîne. Je pars en arrière, je couine, je me cogne la tête sur ma baignoire. 

La porte est prête à céder. Les cris de ma sœur s'intensifient tandis que je vois flou. Mes oreilles bourdonnent et je ne ressens presque plus rien. Mon œsophage me brûle car je n'arrive plus à respirer correctement. Mon cerveau perds ses neurones et soudainement, la porte s'ouvre sur le visage paniqué de Leslie. Puis vient le noir.

***

Je me réveille dans un lit totalement stérile. Je n'arrive pas à bouger. Je crois qu'une infirmière m'a vue et appelé un médecin. Je ne sais pas ce que je fiche ici mais ce dont je suis sûr, c'est qu'aucune de mes pensées n'est cohérente.

***

  Cela fait déjà quelques années que je suis dans ce fauteuil. Quelques années de souffrance de plus ou de moins ne font plus rien n'est-ce pas? 

J'ai perdu mes facultés motrices et certaines assez importante telles que le fait de parler. Vous avez compris, je suis handicapé.

Je ne suis, encore une fois, qu'une anomalie un peu trop gênante. Pas fichu de mourir, je me retrouve ici. 

Mes yeux sont comme les vôtres, gorgés de sang. J'ai juste de la haine envers ce monde et de la tristesse. 

Avec un soupçon de souffrance, rien qu'un peu.

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