CHAPITRE 15

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  — Krystal ! je crie, excitée.

  C'est aujourd'hui, c'est le grand jour. Ma cousine débarque enfin à Boston, fringues rétro et sarcasme sur commande avec elle.

  Dans l'aéroport bondé, j'arrive facilement à la reconnaître. C'est simple ; elle est la seule à avoir une passe de cheveux bleue claire sur la tête. Et je ne parle même pas de ses vêtements : style manga, veste vintage et Converse fantaisistes, elle a la parfaite panoplie d'une artiste en devenir.

  Krystal est dessinatrice. Spécialisée dans les reproductions – tout ce qui est portrait, etc – et elle a un talent fou. Mais comme elle me l'a dit : Dans notre monde le talent ne suffit pas ; c'est du génie qu'il faut. Alors elle se cantonne à des études pour devenir professeur d'arts plastiques. Ça lui plaît, et c'est tout ce qui compte.

  Traînant une valise ornée de badges multicolores derrière elle, elle s'approche doucement de moi. Quand elle était petite, Krystal était très timide. Dans le entre je-ne-veux-pas-aller-demander-des-œufs-au-voisin-si-tu-ne-m-accompagne-pas. Et puis, avec les années, elle s'est affermie et a pris en maturité. Elle parle plus, réfléchis moins. Elle est devenue un peu moins affective aussi.

  — Salut ! dit-elle.

  Nous sommes un peu gênées ; malgré la connexion qui nous relie, revoir quelqu'un à qui on a pas parlé depuis longtemps est toujours légèrement embarrassant.

  Elle esquisse un grand sourire (comme si elle ne savait pas trop comment se comporter) et s'avance un peu plus.

  Lucy lui fait la bise, obligée de se mettre sur la point des pieds pour compenser la taille de géante de ma cousine. Moi je sais qu'elle n'aime pas ça, aussi je m'abstiens. Entre nous, les mots sont inutiles. Parler ne sert qu'à faire joli, alors nous restons silencieuses pendant tout le trajet jusqu'à la voiture.

  Enfin installées dans la vieille voiture de ma tatie, celle-ci se met à lui poser des questions plus ou moins indiscrètes. C'est Lucy quoi.

  — Et alors tes études, ça se passe bien ? demande-t-elle joyeusement.

  — Oui. C'est le lycée quoi.

  — Et ton problème ? Ça s'améliore ?

  Je me raidis sur mon siège, et me tourne vers Krystal. Elle sourit doucement, comme si elle n'était pas touchée par ses paroles. Je sais bien que c'est tout le contraire, seulement elle peut être une bonne actrice quand elle veut. 

  — Non, elle répond d'une petite voix.

  Je lui lance un regard encourageant, et elle détourne les yeux. Ma cousine n'aime pas les marques d'affection, et elle le montre ouvertement. Lucy se gare dans notre allée, après avoir traversé Boston et ses embouteillages. Pendant ce temps, Krystal observe la ville, fascinée.

  Aller aux États-Unis est son rêve, je le sais. Parce qu'elle aime voyager, et que l'Amérique est son continent de prédilection. En France, elle s'est formée d'une sorte d'image de fille asociale, à laquelle à se tiens par orgueil. En vérité, elle besoin de sa dose de câlin, comme nous tous. C'est pourquoi elle voudrait partir dans un autre pays, et faire sa vie là-bas. Simplement pour repartir à zéro.

  Ma marraine pousse la porte d'un revers de hanche, les bras chargés de pain de mie, de pâtes Barilla et de tout les aliments que Krystal aiment. Pas beaucoup, en soit. Ma cousine à l'air embarrassée par toutes ces facéties. Elle déclare qu'elle aurait très bien pu s'en passer, mais je m'arrête net. Si elle n'a pas ce qu'elle aime, c'est simple, Krystal ne mange pas. Et je refuse qu'elle se laisse mourir de faim à cause d'une stupide question d'argent.

AméthysteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant